Yves Noël est avocat et professeur de droit fiscal à l'Université de Lausanne. Au lendemain des révélations "Panama Papers", le spécialiste juge plus que probable que les individus cités dans les millions de données rendues publiques dimanche se soient rendus coupables d'évasion fiscale.
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RTSinfo: Qu'est-ce qu'une société offshore?
Yves Noël: C'est une société ouverte par un résident d'un Etat hors de ses frontières nationales, en général dans un pays qui bénéficie, d'une part, d'une fiscalité très basse et, d'autre part, d'une simplicité administrative extrême. Il est possible d'ouvrir une société panaméenne sans aller au Panama, ni même y avoir une véritable activité.
Une société offshore fonctionne un peu selon le même principe qu'un pavillon de complaisance pour un navire: on enregistre sa société au Panama comme un armateur enregistrerait son bateau au Liberia, sans avoir aucun lien avec le pays. Sauf qu'il y a au moins un bateau derrière un pavillon de complaisance, tandis qu'une société offshore est uniquement un écran juridique.
RTSinfo: Dans quels cas de figure ce type de montage est-il légal?
Y. N. : C'est légal tant que la société offshore est déclarée au fisc du pays de résidence de son détenteur et que des impôts sont payés sur les actions de cette société.
La société-écran présente l'avantage de la confidentialité. Par exemple, si un individu veut acquérir une maison extrêmement chère mais ne souhaite pas que ses voisins sachent qu'elle lui appartient, il peut l'acheter via une société offshore (NB: pas en Suisse, où la législation exige de savoir qui se cache derrière). Ce cas de figure se voit notamment dans des pays peu fiscalisés comme les Emirats arabes unis, l'objectif principal n'est donc pas de fuir l'impôt.
On peut aussi imaginer des hommes d'affaires individuels qui voudraient prendre une participation dans un groupe public et ne voudraient pas voir leur nom apparaître. Mais la plupart du temps, si les gens ont recours à des sociétés panaméennes c'est pour ne pas les déclarer au fisc. Et dans le cas précis des "Panama Papers", c'est à mon avis surtout à des cas d'infraction fiscale que l'on a affaire.
RTSinfo: L'optimisation fiscale des multinationales passe elle aussi par des sociétés offshore?
Y. N. : Les multinationales peuvent utiliser des sociétés panaméennes pour des transactions ou pour gérer des participations à l'étranger. Tant que tout cela est déclaré -et elles ne peuvent en principe pas se permettre de ne pas le faire-, elles tirent profit d'une fiscalité quasiment inexistante à Panama sans se mettre dans l'illégalité.
En revanche, dès lors qu'une multinationale annonce la couleur, elle peut être questionnée par le fisc et, si ce dernier juge qu'il n'y a aucune réalité dans la gestion de ses investissements au Panama, il peut faire comme si la société offshore n'existait pas et se réallouer les bénéfices.
RTSinfo: Se dirige-t-on vers davantage de contrôle?
Y. N. : La remise en cause de l'optimisation fiscale des multinationales, qui représente des montants très importants, est un volet majeur de la fiscalité internationale.
Pendant des années, les multinationales ont profité de la Suisse, du Luxembourg, de l'Irlande et d'autres pays à la fiscalité légère, mais les Etats de l'OCDE exigent désormais qu'une multinationale qui s'éloigne de son pays de base ait de vraies activités ailleurs et pas simplement une société offshore qui lui permette de faire de l'optimisation.
Propos recueillis par Pauline Turuban