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Trucs et astuces utilisés par Kerviel pour jouer avec l'argent de la banque

L'ex-trader Jérôme Kerviel est accusé de prises de risques colossales. [AFP - MIGUEL MEDINA]
"L'outsider ", le thriller financier dresse un portrait plutôt empathique de Jérôme Kerviel / Le Journal du matin / 1 min. / le 22 juin 2016
A l'occasion de la sortie mercredi du film "L'outsider", qui retrace la descente aux enfers de l'ex-trader Jérôme Kerviel, décryptage des mécanismes qui lui ont permis de "jouer" avec 50 milliards d'euros d'actifs.

"Quand il a mis le doigt dans l'engrenage, le glissement a été progressif", a imagé Christophe Barratier. Le réalisateur s'est inspiré du livre de Jérôme Kerviel "L'engrenage: mémoire d'un trader", pour décrire la vie du Breton, de son entrée à la Société Générale en 2000, jusqu'au scandale qui a éclaté en 2008.

On y découvre quelques trucs et astuces utilisés par le trader pour masquer dans les comptes qu'il avait dégagé un gain de 1,47 milliard d'euros, puis joué avec quelque 50 milliards d'euros d'actifs. Des prises de risque qui auraient pu faire basculer la Société Générale, voire le système financier mondial.

>> L'interview du réalisateur Christophe Barratier :

Christophe Barratier. [AFP - Valery Hache]AFP - Valery Hache
La plongée de Christophe Barratier dans l'affaire Kerviel / L'invité du 12h30 / 10 min. / le 22 juin 2016

Le spiel

Le "spiel" ("jeu" en allemand) serait un grand classique dans la catégorie des "choses qu'il ne faut pas faire, mais qu'on fait quand même", lui explique Keller, son supérieur dans le film. Ce dernier lui apprend comment se refaire après avoir perdu 100'000 euros.

De manière assez simpliste, Keller lui montre comment prendre 1000 euros, non pas d'un client, mais dans les caisses de la banque. Avec, il spécule sur la hausse ou la baisse du marché. S'il pense que le marché va monter, il achète; s'il pense que le marché va baisser, il vend. "Plus ça monte, plus je les revends cher, plus je me fais du fric", lui dit Keller.

Une opération interdite et risquée, puisque ces paris s'opèrent généralement sans couverture, de manière à produire des gains rapides. Ils peuvent être conséquents, mais en cas de mauvais placements, les pertes peuvent l'être aussi.

Dans son livre, Jérôme Kerviel explique que durant l'année 2007, ces opérations spéculatives occupaient les neuf dixièmes de son temps. Avec ces spiels, "je gagnais tous les jours des centaines de milliers d'euros, souvent des millions".

Le carpet

Les gains issus des spiels de Jérôme Kerviel n'apparaissaient, pour la plupart, pas dans les comptes officiels de la banque. Et pour cause, après lui avoir appris à "spieler" dans le film, Keller lui explique comment mettre cet argent "sous le carpet" ("sous le tapis"), une technique qui consiste à dissimuler du résultat pour le ressortir plus tard, en cas de besoin.

Le principe est simple. Chaque trader reçoit des objectifs annuels. Si un opérateur a pour objectif de gagner 5 millions et qu'il en gagne 8, son objectif augmentera automatiquement à 8 millions l'année suivante. Pour garder une soupape de sécurité, le trader va donc mettre ces 3 millions supplémentaires en réserve "sous le tapis", afin de démarrer l'année avec 3 millions d'avance.

"Cette pratique était habituelle entre traders et responsables", a écrit Jérôme Kerviel. Sauf que les montants mis sous le tapis lui ont fait perdre tout sens des réalités. On ne parle plus de 3 millions d'euros, mais de 1,47 milliard d'euros sous le tapis au moment où le scandale éclate, alors que ces objectifs pour 2007 avaient été fixés à 10 millions.

L'effet de levier

Ce milliard et demi devait le mettre à l'abri des aléas futurs des marchés en constituant un matelas de sécurité pour ses opérations à venir. Car Jérôme Kerviel avait appris à jouer très gros, usant de l'effet de levier pour engranger de plus gros bénéfices. Déjà en mars 2007, il avait engagé progressivement la somme de 30 milliards d'euros, pariant que la question des subprimes aux Etats-Unis allait provoquer une chute des marchés.

Mais au printemps 2007, ceux-ci tenaient toujours bon, et Jérôme Kerviel continuait de maintenir cette position, avec une perte latente de deux milliards d'euros. Son principe: ne jamais déboucler à perte. Lorsque la situation se retourne en juillet, il peut enfin déboucler sa position, (c'est-à-dire finaliser sa transaction d'achat ou de vente) et enregistre un gain de 500 millions d'euros. Le trader ne s'arrête pourtant pas là, et le mois suivant, il engage à nouveau 30 milliards d'euros pour en dégager, au bout d'un mois seulement, un gain de près d'un milliard.

Des contreparties fictives

Comment Jérôme Kerviel s'y prenait-il pour masquer auprès des services comptables des positions de plusieurs milliards, alors que sa limite quotidienne était fixée à 125 millions d'euros?

Pour chaque opération spéculative, Jérôme Kerviel saisissait des transactions en sens inverse, simulant de les traiter avec un nouveau courtier, inconnu de la banque. Sauf que cette contrepartie était fictive et n'existait que pour masquer son "spiel" dans l'outil informatique, de sorte que sa position dans le système soit égale à zéro.

Concrètement, cela signifie que, si le trader spéculait à la hausse en achetant 10 contrats à terme sur le DAX, il saisissait en parallèle une opération fictive où il vendait ces mêmes 10 contrats à un courtier inconnu. Ainsi, sa position restait égale à zéro.

Les paiements à la contrepartie fictive restaient dans une base tampon, dans l'attente de renseignements sur l'identité du courtier, qui évidemment n'existait pas.

La débâcle

Les transactions atypiques effectuées par Jérôme Kerviel pour transférer ses résultats d'une année sur l'autre ont alerté le service comptable, qui lui intimait des justifications. Sa hiérarchie qui, jusqu'ici dans le scénario du film, semblait le couvrir auprès du service comptable, le lâche alors. (Lire encadré)

Un malaise qui tombait plutôt mal. En janvier 2008, fort de 1,47 milliard de matelas de sécurité, le trader avait pris de mauvaises positions sur le marché. Cherchant à rattraper la situation, il avait pris des risques de plus en plus élevés pour mettre en jeu la somme gigantesque de 50 milliards d'euros. Cela représentait alors deux fois les fonds propres de la Société Générale.

Rapidement, ses gains de 2007 étaient déjà effacés par ses pertes latentes. Durant les trois jours qui ont suivi son renvoi, la Société Générale a débouclé ses positions, lui imputant une perte de plus de 6,3 milliards, moins ses gains de 2007, soit 4,9 milliards d'euros.

>> Le décryptage de Rafael Wolf sur le film :

L'ex-trader Jérôme Kerviel est accusé de prises de risques colossales. [AFP - MIGUEL MEDINA]AFP - MIGUEL MEDINA
"L'outsider ", le thriller financier dresse un portrait plutôt empathique de Jérôme Kerviel / Le Journal du matin / 1 min. / le 22 juin 2016

Feriel Mestiri

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Affaire Kerviel, un procès à 4,9 milliards d'euros

Condamné en 2012 à 5 ans de prison, dont trois ferme, Jérôme Kerviel se trouve à nouveau, depuis le 15 juin, devant la cour d'appel de Versailles. Au cœur des débats: le réexamen des 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts infligés à l'ex-trader.

Selon Jérôme Kerviel, sa hiérarchie connaissait ses agissements, mais l'a "lâché" dès qu'il a commencé à essuyer des pertes, ce que nie la Société Générale.

La Société Générale avait pris la décision de déboucler les positions du trader dans l'urgence, car elle estimait qu'en cas de guerre ou d'une chute de 30% des marchés, ses positions pouvaient engendrer la faillite de cette banque systémique.

A noter aussi que la banque a bénéficié d'un crédit d'impôt de 2,2 milliards d'euros en raison de la perte enregistrée.