Vos collègues partent en vacances, la météo aléatoire vous donne des envies d'ailleurs: c'est décidé, vous vous offrez une escapade. D'après les statistiques, vous allez probablement réserver votre hôtel sur une plateforme en ligne telle que Booking ou Hotels.com. Les "online travel agencies" (OTA), comme on les désigne dans le jargon, sont devenues incontournables pour un Suisse sur quatre.
Ces sites font tout pour être les plus compétitifs en termes de tarifs. Du moins pour qu'on pense qu'ils le sont. Mais leur statut de "cost-killers" est mis à mal. Exaspérés par les clauses draconiennes que leur imposaient les OTA, les hôteliers de plusieurs pays européens se sont rebiffés et ont saisi les autorités de la concurrence, lesquelles ont pris en 2015 des mesures contre la position dominante des plateformes de réservation (voir encadré).
Des tarifs dégressifs à l'approche du départ
Pour savoir quel canal de réservation offre les meilleurs tarifs, RTSinfo a simulé une recherche pour un séjour du 23 au 26 juin, en chambre double standard dans quatre établissements de niveau 2-3 étoiles, à Locarno, Rome, Londres et Kamari en Grèce. La prospection s'est faite auprès du leader des OTA en Suisse, Booking.com, et en direct auprès des hôteliers.
Premier enseignement: sur Booking, la procrastination peut avoir du bon. Si les prix au Tessin et en Grèce n'ont pas bougé sur une semaine, l'attente aurait permis d'obtenir de substantiels rabais pour les hôtels de Londres et Rome. Et ce, malgré les messages nous invitant à réserver rapidement en raison de la "forte demande" à cette période.
Entre le 9 et le 14 juin dans la matinée - le moment qui fait foi pour ce comparatif -, le prix de la nuit à Londres a baissé de 5,5%. Pour la chambre romaine, c'est près de 20% de moins*.
La réservation directe plus avantageuse dans 3 hôtels sur 4
Malgré les prix cassés affichés en écarlate sur la plateforme de réservation, trois hôteliers sur quatre ont accepté, sans trop de négociation, de nous accorder des tarifs encore plus compétitifs, allant de 6 à 13% de rabais.
Cas N°1: Booking est le moins cher. Sur les quatre établissements observés, seul l'hôtel de Londres n'a pas été en mesure de s'aligner sur les prix de Booking, inférieurs de 5% au meilleur tarif obtenu en direct.
Interrogée, une responsable de l'hôtel londonien a avancé que les prix sur internet fluctuaient chaque jour en fonction de l'approche de la date, des disponibilités, etc. mais n'a pas été en mesure de fournir d'explication technique. Voici ce que dit Booking:
Cas N°2: Le meilleur prix est sur le site de l'hôtel. Pour l'hôtel de Rome, c'est sur la page officielle que l'on trouve les meilleurs tarifs. L'établissement nous facturerait 390 euros pour 3 nuits, soit 130 euros (141 CHF) la nuit, contre 151 sur Booking (-7%).
Les hôteliers italiens ont été parmi les premiers à obtenir le droit d'afficher des tarifs inférieurs à ceux proposés sur les plateformes de réservation, l'autorité de la concurrence italienne étant l'un des chefs de file de la régulation des pratiques des OTA en Europe.
Cas N°3: En direct, on obtient les meilleurs tarifs. Trouver le site de l'hôtel grec relève en soi du défi: il n'apparaît que sur la 5e page de résultats sur Google. Il faut savoir qu'en signant un contrat avec une OTA, l'hôtel lui cède son nom commercial; il ne restera bien classé dans les moteurs de recherche qu'en échange d'une importante commission.
Une fois sur le site, deuxième déconvenue : aucune chambre n'apparaît comme disponible à la réservation en ligne. Et pourtant, lorsque nous appelons, notre interlocutrice nous confirme que des chambres doubles sont encore libres, et accepte de faire passer le prix de la nuit de 60 à 52 francs (-13%).
La "résistance" par la réservation en direct
Quant au site de l'hôtel tessinois, il affiche un prix strictement identique à celui de Booking : 240 CHF la nuit. Au téléphone, en revanche, la responsable propose d'elle-même un rabais à 225 CHF (-6%). C'est le principe même d'une campagne baptisée Book Direct, dont cet établissement -comme de nombreux autres en Suisse- arbore le macaron en signe de "résistance".
Pierre-André Michoud, vice-directeur de la faîtière et propriétaire d'un hôtel à Yverdon-les-bains (VD), résume : la réservation en direct est la clé de l'indépendance des hôteliers et elle repose sur deux piliers, "un site web attractif" et un "système de réservation facilitée".
Il l'assure: les clients qui ont la curiosité de s'adresser directement à un hôtel seront rarement déçus. Car, rappelle-t-il, tout ne se résume pas au prix. Même dans les cas où un hôtelier ne propose pas un tarif inférieur, il a toujours la possibilité d'enrichir sa prestation avec, par exemple, un surclassement ou un petit-déjeuner offert.
Delphine Gianora, Pauline Turuban
*Sur la période observée, les taux de change ont subi des variations trop infimes pour avoir eu un effet. Ni la consultation répétée de ces pages ni le lieu d'où elles ont été consultées n'ont eu d'influence sur ces offres: une personne test résidant en France a consulté les mêmes pages au même moment, pour la première fois, et a obtenu des offres rigoureusement identiques.
La clause la plus controversée a du plomb dans l'aile
Les hôteliers européens se plaignent depuis plusieurs années des pratiques commerciales jugées déloyales voire "cyniques" des OTA, en particulier de Booking : un programme de fidélité dont les coûts sont assumés par les hôtels; l'achat de leur nom commercial, qui fait remonter Booking en tête des résultats sur les moteurs de recherche; la perte de contrôle sur leur image et leur e-réputation...
Mais le point central de discorde était la clause de parité tarifaire: en d'autres termes, les OTA exigeaient qu'une même chambre ne puisse être trouvée moins cher sur aucun autre canal de réservation - y compris auprès de l'hôtelier.
Les choses sont en train de changer: se pliant aux décisions rendues par plusieurs autorités de la concurrence en Europe (en Italie, en France, en Suède et en Suisse), les principales OTA ont consenti à un assouplissement. Désormais, les hôteliers peuvent proposer des offres spéciales sur des plateformes de réservation concurrentes et en direct (par téléphone ou e-mail), mais toujours pas sur leur propre site - exception faite des programmes de fidélité.
La Suisse et l'Union européenne, par l'intermédiaire de l'ECN (Réseau de la concurrence européenne), sont actuellement en train d'étudier les effets de ces nouvelles règles du jeu sur la concurrence.
Un milliard de chiffre d'affaires généré par les réservations en ligne
Pour des données récentes sur les canaux de distribution dans l'hôtellerie en Suisse, la faîtière renvoie à une étude de la HES-SO Valais parue en février 2015. Les principaux chiffres :
- Un quart des réservations d’hôtels se font désormais via une plateforme en ligne
- Ces canaux de réservation ont généré, en 2014, un chiffre d’affaires estimé à 1 milliard de francs
- Les groupes Priceline (booking.com, Agoda), Expedia (hotels.com, Venere) et HRS (hotel.de, Tiscover) représentent près de 90% du marché des OTA en Suisse, et Priceline est largement dominant (plus de 70%)
- Les OTA amènent au moins le quart des réservations dans 4 hôtels suisses sur 10
- En moyenne, un hôtel suisse dépense chaque année 30'000 CHF en commissions aux OTA