"Un sujet aussi banal que la tomate nous renvoie à toute la complexité de la mondialisation avec ses gagnants et ses perdants", résume pour la RTS Jean-Baptiste Malet qui signe avec Xavier Deleu le documentaire "L'empire de l'or rouge - Enquête sur une industrie aux origines de la mondialisation" (à revoir ci-dessus).
Aujourd'hui âgé de 30 ans, le journaliste s'est déjà fait remarquer en 2013 avec "En Amazonie", une enquête choc sur les conditions de travail souvent très dures chez Amazon.
De la tomate made in China
Ce printemps, il démontre que la plupart des coulis de tomates qui servent à agrémenter nos pizzas et hamburgers sont en fait fabriqués à partir d'un concentré made in China lequel est ensuite déversé en barils dans les ports du monde entier et raffiné par une multitude de marques qui n'ont - dans une majorité de pays - aucune contrainte légale les obligeant à préciser la provenance des ingrédients utilisés.
L'Italie est allée jouer les Marco Polo en Chine
"En vingt ans, la Chine qui était un des rares pays où l'on ne mangeait pas de sauce tomate est devenue le second producteur mondial et le premier exportateur de tomates d'industrie. J'ai voulu savoir pourquoi", explique encore Jean-Baptiste Malet.
Marco Polo au Xinjiang
La quête d'une réponse l'a amené à remonter dans le temps, aux sources d'une habitude alimentaire née avec le succès de Heinz et de son célèbre ketchup, et à voyager du Xinjiang à l'Italie.
"Si j'ai d'abord été choqué que les Chinois exportent du concentré de tomates jusque dans le port de Naples, j'ai ensuite compris que si la Chine était devenue le premier exportateur mondial, c'est parce que l'Italie est allée jouer les Marco Polo en Chine", poursuit Jean-Baptiste Malet. Désireux d'exporter leurs machines, des industriels italiens ont attaqué le marché asiatique trouvant auprès des militaires chinois une oreille attentive.
"Incroyable violence"
En plus de flairer un bon filon, des oligarques du Parti communiste ont repéré là l'opportunité d'occuper une main-d'oeuvre exploitable à merci dans les vastes champs du Xinjiang, raconte le film. Les Italiens, en échange, obtenaient un concentré de tomates à bon marché qu'ils n'avaient plus qu'à agrémenter.
"Voir des familles entières travailler à la cueillette en haillons, y compris des enfants, dans des régions délaissées, cela montre à quel point notre économie est d'une incroyable violence", note l'auteur qui dénonce également la façon dont le concentré chinois est coupé d'additifs non déclarés sur les étiquettes.
Un impact jusqu'en Afrique
Et si l'Europe n'est pas épargnée par le business de la conserve chinoise, l'Afrique en est selon lui la première victime. Dans un pays comme le Ghana, par exemple, les consommateurs tendent à privilégier des briques de concentré à bon marché et de mauvaise qualité à des tomates locales.
"Un pur scandale et un véritable problème de santé publique", assure Jean-Baptiste Malet. Les paysans africains appauvris sont eux contraints à l'exil vers l'Europe où ils se retrouvent parfois - ironie du système - exploités dans des champs de tomates italiens.
Au final, le business de la tomate c'est un enchevêtrement d'histoires individuelles aux quatre coins du monde racontées avec sérieux sur le fond, humour dans la forme, et reliées à travers cette enquête en une seule et même fresque de notre système économique qui assurément laissera un goût amer au consommateur.
Juliette Galeazzi
* "L'Empire de l'or rouge", l'enquête de Jean-Baptiste Malet sort chez Fayard le 17 mai