Avec ses 7000 collaborateurs dans le monde entier, l'OMS dirige et coordonne la santé mondiale, avec à sa disposition un budget annuel de 2,4 milliards de francs.
Depuis 1990, son budget a quasi triplé, alors que les cotisations des Etats membres – dont l'OMS peut disposer librement – sont restées stables. Ce sont en fait les dons qui ont explosé. Il s'agit de financements liés à des projets précis ou des causes spécifiques. Ces sommes sont versées par des gouvernements, des fondations privées ou des entreprises.
80% du budget provient de dons
Alors que les cotisations des pays membres représentaient 80% du budget dans les années 1970, le rapport s'est aujourd'hui complètement inversé. En 2016, près de 80% du budget total de l'OMS provient des dons, soit 1,7 milliards de francs.
En 2016, ceux qui ont donné le plus à l'OMS sur une base volontaire sont les Etats-Unis (plus de 310 millions de francs), la fondation Bill & Melinda Gates (280 millions), puis la Grande-Bretagne (près de 140 millions de francs).
En quatrième position se trouve GAVI Alliance (près de 55 millions de francs), dont le principal financeur est la Fondation Bill & Melinda Gates. Suivent avec plus de 50 millions de francs de dons: le Japon, le National philantropic trust et le Rotary International. Cette dernière association est également financée en partie par la Fondation Bill & Melinda Gates.
Sur les trois dernières marches du top 10 figurent, avec près de 50 millions de dons, la Commission européenne, le Fonds central d'intervention d'urgence et l'Allemagne.
A voir: L'enquête de TTC sur le financement de l'OMS:
Questions de dépendance
Ce type de financement soulève des questions, notamment de dépendance de l'Organisation vis-à-vis de ses bailleurs de fonds. Or, dans ce top 10, il y en a un qui crispe beaucoup: Bill Gates. C'est l'homme le plus riche de la Terre. Il pèse 86 milliards de francs. Depuis 2008, le fondateur de Microsoft est devenu philanthrope, au sein de sa gigantesque fondation.
La position dominante de cette dernière interroge. Antoine Flahault, directeur de l'Institut de Santé Globale de la Faculté de Médecine à l'Université de Genève, craint que l'institution ne devienne un instrument pour servir les intérêts de ces donateurs privés. "Si un jour on éradique la polio de la planète, on pourra le devoir en grande partie à la Fondation Bill Gates. En revanche, l'OMS est moins libre, parce que les dons vont orienter la politique là où le donateur souhaite l'orienter, puisqu'il donne pour une cause. Il ne donne pas pour l'OMS".
37 cas de polio notifiés en 2016
Ainsi, la directrice de l'organisation Health innovation in practice (HIP), Nicoletta Dentico, souligne le fait que certains départements de l'OMS sont presque entièrement financés par la Fondation Bill & Melinda Gates. "Cela a inévitablement un impact. Pas forcément sur ce que dit l'OMS, mais plutôt sur ce que l'OMS décide de ne pas dire".
L'exemple le plus frappant est la lutte pour éradiquer la polio, cheval de bataille de Bill Gates. Il s'agit du programme de l'OMS dont le budget pour l'exercice 2016-2017 est le plus élevé, avec une enveloppe de 870 millions de francs pour les deux ans.
Selon les chiffres de l'OMS, seuls 37 cas de polio ont été notifiés en 2016, tandis que 1,1 million de personnes sont décédées d'une cause liée au VIH dans le monde, par exemple.
Depuis que l'OMS s'est fixée l'objectif d'éradiquer la polio, le nombre des cas a diminué de plus de 99%, évitant la paralysie à plus de 16 millions de personnes.
Pas de débat public
Pour Jean-Marie Kindermans, président de l'Agence Européenne pour le Développement et la Santé (AEDES), éradiquer la polio est certes un objectif de santé publique qui peut être envisagé, mais qui mobilise des ressources financières et humaines conséquentes. "Le gros problème est comment cette allocation de ressources est décidée, sans débat public, au regard d'autres priorités". On peut donc se poser la question de la pertinence de l'investissement pour éradiquer la polio par rapport à la lutte contre d'autres maladies.
Pour Jean-Marie Kindermans, l'enveloppe budgétaire de l'OMS devrait bénéficier à d'autres maladies qui tuent beaucoup plus à l'heure actuelle, et qui justifient d'être prioritaires, comme la tuberculose, le VIH, l'hépatite C, ou d'autres maladies négligées comme le paludisme, ou simplement les infections pulmonaires aiguës et les diarrhées de l'enfant.
L'Organisation mondiale estime de son côté que Bill Gates a le mérite de pallier un financement insuffisant de la part des Etats membres, comme l'affirme Gaudenz Silberschmidt, directeur ad interim de la mobilisation de ressources coordonnées à l'OMS: "S'il ne faisait pas ce travail, cela poserait un plus grand problème." Et le fait qu'il soit "relativement dominant", comme deux trois acteurs étatiques, est "un risque qu'on doit gérer et qu'on gère activement".
Natalie Bougeard / Feriel Mestiri