La pratique, répandue en Suisse romande, a été mise en lumière lors des restructurations chez Bacab en 2014, Generali en 2016, ou encore récemment chez Nestlé.
Fin mai, la multinationale veveysanne a annoncé la suppression de plus de 500 postes en Suisse romande. Et dans cette entreprise sans véritable culture syndicale, la direction a proposé à ses employés les services d'un avocat - payé par la direction, mais qu'ils ont pu choisir librement.
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Le principe d'indépendance en danger
Pour Albert Nussbaumer, vice-président de la Fédération suisse des avocats, ce type de mandat ne fait pas forcément problème en raison des honoraires payés par l'employeur mais parce qu'il peut mettre en danger le principe d'indépendance. "Si un employeur mandate un avocat, il aura une obligation de rendre compte à cet employeur. Or il ne devrait pas rendre compte à quelqu'un d'autre qu'à son client qui est l'employé", explique l'homme de loi.
Face au risque de conflit d'intérêt, certains avocats refusent du reste ces mandats. D'autres, estiment que la loi sur la participation - qui prévoit un soutien logistique et financier des patrons aux employés, notamment en cas de conflit mais à condition qu'ils respectent l'indépendance du personnel - leur permet de pratiquer de manière éthique.
S'assurer que les conditions sont respectées
Alexandre Curchod, spécialiste en droit du travail, assume totalement cette manière de faire. "Je m'assure que l'indépendance et la représentation des employés sont bien respectées (…) Si l'employeur essaie de guider l'activité de l'avocat ou de lui dire ce qu'il doit faire ou ne pas faire, ça serait pour moi clairement un signe que l'indépendance de mes clients ne serait pas garantie."
Pour les syndicats, ces cautèles sont cependant insuffisantes. "Dans plusieurs entreprises, j'ai eu des preuves extrêmement claires que lorsqu'on propose un certain nombre d'avocats que nous connaissons au syndicat, ils sont refusés par un certain nombre de ces directions", assure Yves Defferrard, secrétaire syndical chez Unia. "Donc c'est bien qu'il y a intentionnellement une volonté de choisir l'avocat, ce qui démontre qu'il n'y a plus du tout d'indépendance et qu'il y a une vraie volonté de vouloir faire des économies sur des restructurations, ce qui est absolument inacceptable."
Absence d'une action politique "indispensable"
Un autre aspect qui dérange les syndicats est la méthode: le travail de l'avocat est d'expliquer le cadre légal, de conseiller le personnel, lui rappeler ses droits. En revanche, il ne va pas mener une action politique qui est pourtant indispensable, selon Yves Defferrard: "Aucun avocat payé par une direction va organiser des actions ou mettre une pression (…) Le syndicat, lui, va mobiliser les travailleurs. Cela a été le cas chez Novartis. Si on n'avait eu que des avocats autour de la table, l'entreprise ne serait plus là aujourd'hui."
Pour les entreprises, faire appel à un avocat plutôt qu'à un syndicat représente une méthode de négociation plus discrète, moins médiatisée. Un avocat n'organisera pas forcément de groupes de travail, une démarche qui place les employés au coeur du processus de réflexion et qui constitue la mission syndicale par excellence.
Joëlle Cachin/oang