La dernière estimation de la Confédération, il y a cinq ans, se montait à 3,4 millions de francs. Mais l'Office fédéral du développement territorial (ARE) vient de refaire le calcul pour aboutir à un montant presque deux fois plus élevé. Il a surtout changé sa méthode, dans le sillage de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Car longtemps, les évaluations se sont appuyées sur des comparaisons entre les salaires des emplois à risques et ceux d'emplois moins risqués. Mais les facteurs sont si nombreux et les risques si différents que la stratégie a été revue.
Combien sommes-nous prêts à payer en plus?
C'est aussi ce qu'ont fait les experts suisses. "Pour établir ces valeurs, on fait des sondages auprès des personnes et on demande combien elles sont prêtes à payer pour réduire le risque de mortalité", explique le vice-directeur de l'ARE Ulrich Seewer. "On demande par exemple combien elles sont prêtes à payer de taxes en plus pour investir dans les mesures de sécurité routière."
Ces 6,5 millions de francs se fondent donc sur des sondages réalisés dans toute l'Europe et sur des études menées par l'OCDE. Et l'estimation a des effets concrets: l'Etat devra en tenir compte pour ses investissements dans les infrastructures de sécurité.
Investissements liés au montant déterminé
Cette révision à la hausse est donc plutôt une bonne nouvelle. Mais tout est affaire de mesure. "Si ce montant est trop fort, les investissements devront être de plus en plus importants et cela peut remettre en cause des décisions", explique François-Xavier Albouy, directeur de recherche à la chaire Transitions démographiques, transitions économiques de l’Institut Louis-Bachelier à Paris, et auteur de l'ouvrage "Le prix d'un homme" (Grasset).
"A un certain moment, si la vie humaine a une valeur presque infinie, on ne peut plus construire une automobile, ce n'est plus possible", poursuit-il. "Ou alors, elle est dans de tels dispositifs de sécurité qu'elle ne peut jamais démarrer. Il doit y avoir une valeur qui est adaptée à la capacité de la société d'investir et de continuer à développer l'économie."
"De nombreuses vies n'ont, virtuellement, aucune valeur"
Mais la valeur de la vie humaine n'est pas égale partout dans le monde. On peut schématiquement la lier au produit intérieur brut (PIB) d'un pays: plus ce dernier est riche, plus la valeur humaine est élevée.
Et c'est là qu'intervient une question philosophique, celle de l'égalité. Parce que comme le souligne François-Xavier Albouy, si les vies d'un Suisse, d'un Européen ou d'un Américain valent quelques millions, il existe toute une partie de l'humanité dont la vie n'a, virtuellement, aucune valeur. Et qui dit absence de valeur dit absence d'investissement en termes de sécurité et de protection sociale.
"Personne n'a intérêt à investir sur des dispositifs de santé ou même l'éducation dans des populations qui, en pratique, na valent rien. Et c'est véritablement l'un des grands scandales de l'économie mondiale aujourd'hui. On a tout normalisé, tout mondialisé sauf la sécurité humaine et la protection sociale."
C'est la raison pour laquelle il faudrait, selon François-Xavier Albouy, réfléchir à une façon d'établir, non pas un prix unique de la vie humaine, mais au moins une valeur minimale pour toute vie humaine.
Katja Schaer/oang