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La commande vocale régit le travail de milliers d'employés en Suisse

Commande vocale : souffrance des préparateurs de commande guidés par des robots dans leur travail
Commande vocale : souffrance des préparateurs de commande guidés par des robots dans leur travail / 19h30 / 4 min. / le 26 août 2018
Les robots font déjà partie du quotidien dans les secteurs de la grande distribution et de la logistique en Suisse. Pour des milliers de travailleurs en entrepôts, la commande vocale a remplacé le contremaître.

La Coop, Denner, Ikea ou encore Manor sont tous passés à un système de commande vocale appelé "Pick-by-Voice", destiné à optimiser la préparation des commandes. En Suisse, plus de 3000 employés d'entrepôts obéissent ainsi chaque jour aux consignes du logiciel.

Chez Manor, ce système, reposant sur un casque audio et un boîtier, a été introduit en 2008. Il a permis d’augmenter la productivité de près de 20% et de réduire drastiquement les erreurs.

Je pense que les gens en ont fait des cauchemars pendant quelque temps.

Thierry Leduc, responsable d'entrepôts chez Manor

Mais travailler au quotidien avec un robot dans les oreilles n’a pas tout de suite été évident pour les employés.

"Avant vous parliez avec un collaborateur, maintenant c’est fini: vous parlez en permanence avec une voix", souligne Thierry Leduc, responsable des entrepôts à la centrale Manor de Bussigny (VD). "Je pense que les gens en ont fait des cauchemars pendant quelque temps", concède-t-il.

D'autant qu'il n'est plus question de discuter ne serait-ce que quelques mots avec un collègue, au risque de faire planter le logiciel.

Un ordre toutes les 15 secondes

Avec la commande vocale, les employés doivent travailler toujours mieux et toujours plus vite. Il n'y a plus de temps mort: en moyenne, la machine donne un ordre toutes les 15 secondes, et ce huit heures par jour. En une journée, un préparateur de commandes déplace des centaines de colis pesant au total plusieurs tonnes.

A ce rythme la fatigue, non seulement physique mais aussi auditive, se fait sentir. "En portant le casque toute la journée, je n’ai pas envie d’écouter de la musique à la maison parce qu’à un moment, j’ai mal aux oreilles", témoigne Karim Mezari, préparateur de commandes.

La commande vocale a encore été peu étudiée en Suisse mais en France, un rapport de 2015 a pointé plusieurs risques psychosociaux associés: lombalgies, bourdonnements ou encore troubles du sommeil.

Thierry Leduc, le responsable d'entrepôts, dit être particulièrement vigilant. "Si un collaborateur vient nous voir en nous disant (...) 'j’ai un peu mal au dos', on va le mettre pendant deux ou trois jours (...) dans un secteur où il aura des charges un peu moins lourdes à porter", assure-t-il.

Cette machine est non seulement un contremaître implacable, mais aussi un mouchard très efficace.

Marc Perrenoud, sociologue du travail à l'UNIL

Pour Marc Perrenoud, sociologue du travail à l'UNIL, le guidage vocal a pour conséquence une déshumanisation du travail et risque d'"engendrer une souffrance extrêmement importante et des difficultés allant bien au-delà de la démotivation".

Le sociologue estime également que la machine est un "mouchard très efficace" qui permettrait d'épier les travailleurs. Contactés par la RTS, les syndicats Unia et Syna n’ont pour l'heure pas connaissance de plaintes de salariés.

Indiquer le meilleur chemin

Consciente de ces risques, l'entreprise Galliker, l’un des leaders suisses de la logistique, dit faire du confort de ses collaborateurs une priorité. Selon Peter Ballmer, responsable de l'antenne romande de cette firme familiale, le robot est là pour optimiser les gestes et les déplacements, pas pour imposer une cadence infernale.

Le casque n'est utilisé que dans les réfrigérateurs, afin que les mains des employés restent au chaud. Le reste se fait avec un smartphone ou un ordinateur sur le bras.

Pour réduire la gêne auditive liée au port du casque, Galliker mène actuellement des tests avec un sac à dos vocal connecté à des montres et des scanners sur le doigt. Une partie des équipes devrait en être équipée d’ici 2019.

Cécile Tran-Tien/ptur

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