Le service de voitures avec chauffeur Uber, par exemple, explique qu'il existe une note moyenne minimale dans chaque ville en dessous de laquelle un compte est bloqué. "Cela est dû aux différences culturelles qui influencent la façon dont les personnes se notent d'une ville à l'autre", justifie le groupe. Contacté par la RTS, Uber ne divulgue pas ces chiffres pour la Suisse.
Mais un chauffeur qui a travaillé pour Uber a accepté de témoigner. "Quand on arrive à 4.8, on reçoit un message d'Uber qui nous dit 'votre note a baissé, vous devez mieux conduire, veuillez relire la charte...' (...). Et puis quand on arrive à 4.5, pouf! Ils vous suppriment d'Uber! J'ai des collègues qui n'ont pas conduit pendant quinze jours, mais qui louent des voitures, qui font du 100%. Uber, c'est leur travail, c'est leur vie!", relate-t-il.
Si un chauffeur vous dit qu'il ne regarde pas sa note au moins dix fois par jour, c'est un menteur!
"Si un chauffeur vous dit qu'il ne regarde pas sa note au moins dix fois par jour, c'est un menteur!", insiste-t-il.
A ses yeux, "le client, quand il sait qu'il a ce pouvoir, il en profite. Il vous dit 'Monsieur, s'il vous plaît, roulez plus vite, j'ai mon avion dans une heure, je vous mettrai un 5 sur 5'... mais moi, la note, ça ne va pas me payer mes 120 francs de radar! Vous avez des clients qui vous disent 'est-ce qu'on peut monter à cinq? On vous mettra une bonne note!'".
Influence sur les rémunérations
Si ce sont les sociétés américaines qui ont introduit ce système, la note a tendance à se généraliser dans les domaines de la restauration, la livraison, la logistique, les télécommunications... L'évaluation-client a aussi un rôle de plus en plus déterminant dans les rémunérations, ce qui alarme les syndicats.
"On voit de plus en plus de contrats qui mettent clairement un salaire de référence, et après une grosse partie de la rémunération dépend de ces évaluations. Le problème, c'est qu'il est de plus en plus difficile de comprendre quels sont les critères", s'inquiète Umberto Bandiera, secrétaire syndical chez Unia.
On voit de plus en plus de contrats qui mettent clairement un salaire de référence, et après une grosse partie de la rémunération dépend de ces évaluations.
"Travail émotionnel"
Quelques premières études existent déjà sur ces systèmes de notation et leurs effets sur la santé psychique. Il est prouvé qu'une évaluation régulière, effectuée sur des critères connus, et par un superviseur, a un impact positif, mais ce n'est pas tout à fait le cas de ces notes données par les clients.
"Vu que le chauffeur ne connaît pas les critères que le client va utiliser pour l'évaluer, il essaie de répondre à toutes les attentes possibles du client: proposer des bonbons, demander au client s'il a envie de parler du temps qu'il va faire... toutes sortes de tâches supplémentaires", explique Adrian Bangerter, professeur de psychologie du travail à l'Université de Neuchâtel.
Il évoque le "travail émotionnel": "dans beaucoup de métiers de services, on est obligés de montrer des émotions positives vis-à-vis du client. Parfois, l'individu ne ressent lui-même pas ces émotions, il peut être frustré par le comportement du client, il peut avoir une mauvaise journée, mais il est obligé de transformer cette frustration, de la réprimer".
De son côté, le SECO, le Secrétariat d'Etat à l'Economie, dispose de peu de données. Le phénomène, dit-il, passe sous le radar de ses outils de monitoring en raison de son caractère encore très marginal.
Cléa Favre/jvia
"La finalité première de la note est de certifier"
"Est-ce qu'on parle vraiment d'évaluation? Une démarche d'évaluation implique de savoir ce qu'on évalue, en référence à certains objectifs", estime Raphaël Pasquini, spécialiste de l'évaluation et professeur à la Haute école pédagogique vaudoise.
"Le problème, c'est qu'on a parlé de l'évaluation comme étant le levier d'une forme de rentabilité. Ce n'est plus la productivité qui est première", ajoute-t-il.
Mais les notes n'ont-elles pas pour vocation de permettre aux services de s'améliorer? "La finalité première de la note, à l'école en tout cas, est de certifier, d'attester la maîtrise de certains apprentissages. Mais on voit que l'école s'inspire de ce courant de notation sociétale, et on observe que la note sert à plein d'autres choses: à gérer des flux d'élèves, à menacer... Et on constate la même chose dans le monde de l'entreprise et des services", répond Raphaël Pasquini.
Son interview complète dans La Matinale de La Première:
L'obsession du Net Promoter Score
La satisfaction du consommateur est devenue pour certaines entreprises une obsession, surtout depuis l'apparition en 2003 d'un concept marketing: le Net Promoter Score (NPS).
Mais le NPS, censé mesurer la satisfaction du client, sert trop souvent à évaluer les collaborateurs. Et de ce chiffre dépend parfois une partie de leur salaire... dans un système où seuls les notes de 9 et 19 sont considérées comme bonnes.
Sunrise, par exemple, travaille avec cet outil depuis plusieurs années. L'entreprise dit en effet être dépendante du feedback de ses clients pour améliorer ses services. Sunrise précise toutefois que la part des salaires basée sur le NPS est un faible pourcentage à un seul chiffre.
Les précisions dans le 12h30: