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Comment le Financial Times a tout su des coulisses de l'affaire Credit Suisse

Le logo de Credit Suisse sur un bâtiment de Hong Kong. [Keystone - Jérôme Favre]
Comment le Financial Times a couvert en exclusivité l’affaire Credit Suisse: interview de Roula Khalaf / Tout un monde / 5 min. / le 23 mars 2023
Informé sur les moindres détails des tractations, le Financial Times s'est particulièrement distingué dans l'affaire Credit Suisse pendant le week-end qui a scellé le sort de la banque. Sa rédactrice en chef Roula Khalaf raconte comment son équipe a travaillé jour et nuit, vérifiant chaque information par au moins trois sources.

Le Financial Times semblait très bien informé sur ce qui se tramait à Berne en fin de semaine dernière, en temps réel. Il est le seul à avoir raconté en détails les coulisses de ce feuilleton bancaire avec des informations inédites et des précisions sur le rôle des différents acteurs impliqués. Sa pleine page publiée mardi se lit comme un polar (lire encadré).

Roula Khalaf, rédactrice en chef du Financial Times. [FT]
Roula Khalaf, rédactrice en chef du Financial Times. [FT]

Interrogée jeudi dans l'émission Tout un monde de la RTS, la rédactrice en chef du quotidien britannique a levé un coin du voile sur ce tour de force journalistique.

"Déjà, il faut constater que nous sommes le Financial Times. La finance est vraiment notre expertise, notre point fort", souligne d'emblée Roula Khalaf. "On a toujours couvert les banques globales, et en particulier les banques européennes, de très près (…) Et ces dernières années, on a toujours beaucoup couvert Credit Suisse de très près".

"Ils avaient des sources partout"

Dans ce cas particulier, raconte Roula Khalaf, "nous avions nos deux correspondants, qui connaissent très bien UBS et Credit Suisse, et en même temps nos deux spécialistes en M&A (expression anglaise pour "fusion et acquisitions", ndlr) et une journaliste spécialisée en surveillance et réglementation".

Ce groupe de journalistes a travaillé jour et nuit pendant plusieurs jours sur l'affaire. "Ils avaient des sources partout, c'est-à-dire de chaque côté, et c'est pour ça qu'on a pu écrire ces papiers", poursuit-elle. "Pour chaque information, nous avions au moins trois sources".

C'est ce qui a donné lieu, dans l'édition de mardi du Financial Times, à une page assez extraordinaire où les lecteurs ont vraiment l'impression d'être dans la pièce, avec les personnes en train de négocier.

Premiers aussi sur la Silicon Valley Bank

Roula Khalaf ne cache pas sa fierté vis-à-vis de ce travail et de ses journalistes. "Mais il faut aussi constater qu'on a très bien fait [notre travail], non seulement sur Credit Suisse mais aussi sur Silicon Valley Bank", souligne-t-elle. "Nous étions les premiers à constater les problèmes de la banque dans un papier le 22 février" avant même les spécialistes du secteur, se félicite la rédactrice en chef du FT. "Donc je suis particulièrement fière", confirme-t-elle.

>> Lire : Risque de contagion jugé limité après la faillite de la banque américaine SVB

Le quotidien dédié à la finance s'investit beaucoup, et pour cause, dans son domaine de spécialisation. "D'habitude, on sait si l'investissement a été le bon quand il y a une grande crise", précise sa rédactrice en chef. "Cela s'est très bien passé et j'espère que nous continuerons à avoir plein de scoops (…) On sera jour après jour sur les banques suisses".

Pronostics difficiles sur les suites de l'affaire

La journaliste britannique peine en revanche à dire aujourd'hui si cette crise aura un impact plus large et plus durable. "Les raisons pour lesquelles les trois banques (Silicon Valley Bank, First Republic Bank et Credit Suisse) ont eu des problèmes très sévères ne sont pas exactement les mêmes", souligne-t-elle.

Mais Roula Khalaf voit au moins un point commun dans ces trois affaires: la manque de confiance. "Parfois ça peut passer assez vite, et on voit que les marchés sont beaucoup plus calmes depuis hier [mercredi]. Mais ce n'est pas nécessairement la fin de cette histoire", précise-t-elle. "Avec les taux d'intérêts qui montent, il y a peut-être pas mal d'autres vulnérabilités (…) et il faut rester très vigilants".

La vélocité des autorités suisses

Sur les possibles conséquences pour l'image de la Suisse et la réputation de sa place bancaire et financière, la rédactrice en chef du FT se montre également prudente.

"Il y a eu un sauvetage, les autorités ont agi très vite", constate-t-elle. "Ce qu'elles ont fait n'est pas parfait et il y a donc ceux qui ne sont pas satisfaits (…) Mais si elles ne l'avaient pas fait, les marchés auraient été beaucoup plus turbulents".

Propos recueillis par Patrick Chaboudez/oang

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Le récit du FT dans son édition de mardi

Le quotidien économique et financier britannique Financial Time a livré un récit détaillé des événements qui ont conduit à l’absorption de Credit Suisse par sa rivale UBS, en un temps record et sous pression des autorités.

Dans son édition de mardi, reprise en français par Swissinfo, on peut découvrir les coulisses parfois étonnantes de ce feuilleton. Le FT raconte notamment comment le Conseil fédéral a littéralement "ordonné" la fusion aux deux patrons du Credit Suisse et d'UBS.

Le journal va même jusqu'à donner les divers noms de code donnés pour l'opération et toutes les entités appelées à la rescousse par chaque partie pour la superviser.

Pratiquement toutes les tractations ont été menées par vidéoconférence sur l'application Zoom. La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter y a joué un rôle clé, en assurant notamment la coordination de cette transaction à laquelle Credit Suisse restait farouchement opposé.

Lukas Hässig : "Credit Suisse voulait détruire mon média, Inside Paradeplatz"

En décembre dernier, Credit Suisse a attaqué en justice Lukas Hässig, fondateur du blog Inside Paradeplatz, dont les révélations avaient notamment entraîné la chute de Tidjane Thiam, patron de l'ancien numéro deux bancaire helvétique.

En détail, Credit Suisse a saisi le Tribunal du commerce de Zurich et porté une plainte pénale contre Lukas Hässig. La banque demande la suppression de 52 articles, de plus de 200 commentaires et réclame 300'000 francs de dommages.

"Credit Suisse voulait détruire mon média", déplore Lukas Hässig dans La Matinale de la RTS. "Ils n'ont pas réussi, mais c'était leur but, avec beaucoup d'argent, avec beaucoup de pression, en saisissant les autorités officielles et en déposant une plainte pénale. C'est un peu triste qu'une banque essaie de détruire une voix, un petit média, de cette manière."

"Une attaque contre le quatrième pouvoir"

Le rachat de Credit Suisse par UBS pourrait donner un peu de répit à l'unique journaliste d'Inside Paradeplaz. "J'espère pouvoir me libérer de cette pression. C'est une attaque contre le quatrième pouvoir. Je suis petit, et je crois que ce que je fais est important, malgré toutes mes erreurs. Mais nous sommes des journalistes et c'est important que nous puissions faire notre travail. Et la Suisse ne peut pas accepter qu'une une force comme Credit Suisse, qui a fait des fautes incroyables, qui n'existe plus, puisse mener de telles actions judiciaires contre un petit média."

Ce n'est pas la première attaque que subit Inside Paradeplaz, mais selon Lukas Hässig, l'attitude est cette fois différente. "Il y a une énergie un peu criminelle. On peut faire une poursuite judiciaire contre un journal sur le plan civil. Credit Suisse a de l'argent, mais les juges ne sont pas stupides et font leur travail. Mais cette fois, c'est une attaque sur la voie pénale, on m'accuse d'être un criminel à cause des commentaires. Qu'est-ce que cela veut dire? On ne peut plus parler? Il y a des limites, nous le savons, nous essayons de les respecter. Mais on ne doit pas accepter qu'une banque qui était un risque pour la Suisse puisse utiliser ces moyens."

>> L'interview de Lukas Hässig dans La Matinale :

Lukas Hässig, fondateur du blog Inside Paradeplatz. [RTS]RTS
L'invité de La Matinale - Lukas Hässig, fondateur du blog Inside Paradeplatz / L'invité-e de La Matinale / 13 min. / le 24 mars 2023