De quoi parle-t-on?
Le pacte migratoire de l'ONU - officiellement "Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières" - doit être adopté formellement les 10 et 11 décembre lors d'une conférence à Marrakech. Il fait suite à la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, votée à l'unanimité par l'Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre 2016.
Le projet de document final de la conférence liste 23 objectifs et engagements assortis de toute une série de mesures plus ou moins concrètes. Il a pour ambition de "faciliter des migrations sûres, ordonnées et régulières tout en réduisant l'incidence et les répercussions négatives de la migration irrégulière". A ce titre, il concerne à la fois les pays d'origine, de transit et de destination.
Quels pays mènent la fronde?
Le texte a été validé par presque tous les pays membres de l'ONU en juillet 2018 à New York. Seuls les Etats-Unis avaient décidé, fin 2017, de ne pas participer à son élaboration, sous l'impulsion du président Donald Trump. Toutefois, une semaine avant la conférence, seuls deux tiers de ces quelque 190 pays avaient confirmé leur venue à Marrakech, selon les autorités marocaines.
Plusieurs pays européens - Autriche, Pologne, Hongrie, Bulgarie, Slovaquie, République tchèque, Croatie, Estonie - ainsi qu'Israël et l'Australie ont officiellement décidé de ne pas se rendre au Maroc. L'Italie et la Suisse ne participeront pas non plus à la conférence de Marrakech, les deux pays ayant décidé de consulter leur Parlement avant d'endosser le texte.
>> Lire : La Suisse ne signera pas pour l'instant le Pacte sur les migrations de l'ONU
Quid de la souveraineté des Etats?
L'un des reproches souvent adressés au document est qu'il ferait fi de la souveraineté des Etats en matière de politique migratoire. En Suisse, c'est l'UDC qui mène l'opposition au pacte sur les migrations. Selon la droite conservatrice, le texte onusien pourrait, à terme, primer le droit suisse.
Dès son préambule pourtant, le texte contredit ces observations. "Le présent Pacte mondial établit un cadre de coopération juridiquement non contraignant", est-il écrit en page 3.
D'ailleurs, la souveraineté nationale fait partie des dix principes directeurs sur lesquels repose le pacte. Ce dernier "réaffirme le droit souverain des Etats de définir leurs politiques migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence, dans le respect du droit international".
>> Lire : "Chaque Etat est souverain" dans le pacte de l'ONU sur les migrations
Un appel d'air pour la migration?
Les opposants au pacte mondial craignent que ce dernier ne provoque un appel d'air et qu'il ne soit considéré comme un encouragement à la migration, en particulier des pays du Sud vers les pays du Nord. Certaines formulations et engagements - destinés à simplifier la migration ou à améliorer les conditions de vie des migrants - soutiennent cette position.
Le pacte souhaite en effet "créer des conditions favorables qui permettent à tous les migrants d’enrichir nos sociétés grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales". Il propose, entre autres, de "faciliter la mobilité régionale et interrégionale" via des accords de libre circulation ou des système de visas plus libéraux ou encore de "faciliter le droit au regroupement familial des migrants".
Toutefois, plusieurs objectifs du pacte vont dans le sens inverse. Ainsi, le texte demande à s'attaquer aux "facteurs négatifs et aux problèmes structurels qui poussent les personnes à quitter leur pays d'origine". Il propose aussi de "renforcer l'action transnationale face au trafic de migrants" et de "prévenir, combattre et éliminer la traite" d'êtres humains. Il prône enfin la coopération pour "faciliter le retour des migrants".
Didier Kottelat
Louis Arbour dénonce l'"eurocentrisme" des opposants au pacte
Pour Louise Arbour, la représentante spéciale des Nations unies pour les migrations, les pays qui rejettent le pacte migratoire de l'ONU n'ont pas compris le sens du texte. Ce dernier n'encourage pas la migration, relève-t-elle dans un entretien accordé à l'émission Tout un monde de la RTS. Selon elle, il permet au contraire de mieux la contrôler et de la réguler.
Louise Arbour s'étonne de voir la contestation monter en Europe, alors que "c'est l'Europe qui a demandé d'engager ce dialogue à l'échelle mondiale" à la suite de la crise migratoire de 2015. "C'est particulièrement décevant et ironique de voir certaines mouvances politiques dans certains pays européens rejeter ce projet de coopération qui, à mon avis, est dans leur meilleur intérêt", affirme la Canadienne.
La représentante de l'ONU pour les migrations dénonce l'"eurocentrisme" des opposants au pacte, qui "occultent la complexité du dossier de la migration". Selon ces gens, "il y a une espèce d'appétit du monde entier de se relocaliser en Europe ou aux Etats-Unis aux frais des Européens et des Américains, ce qui est tout à fait contraire à toutes les données sur l'histoire de la mobilité humaine", estime Louise Arbour.
L'interview de Louise Arbour dans Tout un monde