Pour prendre le pouls de la France rurale, et comprendre ses préoccupations, l'émission Tout un Monde a sillonné le Massif central, dans une partie du territoire si faiblement peuplée qu'on la surnomme "la diagonale du vide".
"Loin de Paris", plongée au coeur de la France rurale
Grand Format Reportage
Introduction
À l'heure où le mouvement des "gilets jaunes" met en lumière un fossé entre métropoles et provinces, plongée dans la France rurale, "loin de Paris".
Etape 1 Voyage au coeur de la France
Etape 2 Le Puy-en-Velay, à la recherche de médecins
Dans le centre de la France, à quelque 500 km au sud de Paris, se dresse le Puy-en-Velay, connu pour ses lentilles, sa dentelle et sa Verveine, un alcool local.
Dans la région d'Auvergne-Rhône Alpes, cette commune, qui compte plus de 18'000 habitants, manque paradoxalement de médecins. Avec le départ à la retraite des généralistes, la relève a du mal à se faire dans cette zone semi-rurale.
Pour attirer de nouveaux médecins, les autorités misent sur des centres de soins où se rassemblent différents praticiens. Contrairement aux cabinets individuels classiques, cette formule convient mieux à la nouvelle génération de médecins.
Laetitia Venosino, qui est chargée de chercher et d'attirer les professionnels de la santé, mise sur les jeunes de la région. Elle va à la rencontre de ces futurs médecins sur les bancs des universités alentours, mais aussi lors de leurs stages en hôpital.
Non loin de la Cathédrale Notre-Dame-du-Puy, étape phare du Chemin de Compostelle, a été ouverte en mai dernier la toute nouvelle maison de santé du Pensio.
Parmi les 16 praticiens séduits par ce projet, le Dr. Jean, médecin généraliste, explique qu'aujourd'hui, "on ne soigne plus les patients de la même manière."
La jeune génération n'est pas la seule à trouver son compte dans ces centres de soins. Le Dr. Buge, proche de la retraite, a troqué son cabinet individuel contre cette nouvelle structure. Son but à terme; trouver un successeur pour soigner ses 1500 patients.
Le généraliste, qui exerce au Puy-le-Velay depuis 1987, a vu la situation de ses patients se précariser. Il estime être le dernier refuge qui reste à certaines personnes pour exprimer leurs souffrances.
Une contestation très virulente
C'est l'amplification de ces difficultés sociales qui a conduit au mouvement des "gilets jaunes" qui, aux yeux du médecin, symbolise la "revanche des humiliés".
Et cette revanche s'est montrée très virulente au Puy-en-Velay. Le 1er décembre, certains manifestants sont allés jusqu'à incendier le bâtiment de la préfecture.
La population de la commune préfère oublier cet épisode. Beaucoup condamnent la violence, même si transparaît chez eux la colère contre un gouvernement en décalage avec leurs préoccupations.
Ceux qui travaillent pour les autorités, eux, se sont sentis attaqués. Mais, à l'approche des fêtes, mieux vaut éviter le sujet avec parents et amis, pour ne pas exacerber les tensions, confie l'un d'eux.
Le mouvement de contestation reste toujours visible par endroits. À 10 km de la ville, un rond-point fait office de barrage.
Sur la route, les radars ont été mis hors d'état de flasher tandis que, derrière les pare-brises, sommeillent des gilets jaunes.
Etape 3 Laguiole, en quête de relève
À 120 km à vol d'oiseau du Puy-en-Velay, il faut traverser des paysages déserts et des villages de pierre dépeuplés pour rallier Laguiole (prononcé Layol), dans l'Aveyron.
Au coeur de la ruralité, la commune de quelque 1280 habitants fait office "d'oasis dans ce désert vert", notamment grâce à l'héritage des anciens, fait valoir son maire Vincent Alazard.
Pourtant, dans cette localité où les distances se comptent en heures et où "les hivers sont longs", difficile d'attirer ceux qui n'y sont pas nés. La pleine nature, la sécurité ou la gastronomie ne parviennent pas à rivaliser avec les centres urbains.
Ce manque de relève est une vraie inquiétude dans cette commune qui a donné son nom au fameux couteau Laguiole.
"Notre principal souci aujourd'hui c'est d'attirer les jeunes, dont on a grandement besoin", explique le gérant de l'entreprise "la Forge de Laguiole", Thierry Moysset. "Même si l'entreprise progresse chaque année, on a des difficultés à recruter."
La crainte du coutelier est de voir se perdre le savoir-faire de Laguiole, si long à acquérir. Pour l'instant, une centaine d'ouvriers suffisent à perpétuer cet objet phare de la région.
Si le nombre d'habitants parvient ces dernières années à rester stable, la commune a du mal à se développer, et, faute de réseaux économiques, à construire de nouveaux logements.
Une contestation "pudique"
Malgré tout, à Laguiole, peu de traces de "gilets jaunes". Le maire explique ce manque de mobilisation par un esprit de "pudeur", même si, dit-il, il y a une sympathie pour ce mouvement.
En cause, "les petits salaires et les petites retraites, mais surtout un sentiment d'être laissés pour compte par l'Etat, surtout au niveau des services publics. Nous, en tant qu'élus, on doit sans cesse se battre pour garder un demi-poste dans les écoles, ou maintenir la poste ouverte."
Mais surtout, la hausse controversée des taxes sur les carburants a touché à la sacro-sainte voiture, cet objet vital, seul garant d'indépendance dans la France rurale.
Etape 4 Aurillac, une ville qui veut revitaliser son coeur
Un peu plus loin, toujours dans cette bande du territoire surnommée "la diagonale du vide" en raison de la faible densité de sa population, se trouve la petite ville d'Aurillac.
Située en montagne, cette deuxième préfecture la plus haute de France est connue pour son froid hivernal. L'autoroute la plus proche est à une heure de route, et le train qui y mène en souffrance. Pas de quoi faire rêver les touristes.
Ici aussi, donc, la voiture est reine. En atteste le nombre de véhicules et de parkings, qui occuperaient la moitié de l'espace public, selon les dires des locaux.
Et, comme elle concentre tous les commerces et administrations, Aurillac se trouve être le point d'affluence des quelque 100'000 habitants de cette région rurale, qui viennent y travailler, y faire leurs courses, mais pas y vivre.
Le centre-ville se retrouve ainsi privé de résidents, et de vitalité. "Vous voyez ce commerce, les gens sont partis à la retraite et maintenant il n'y a plus rien, montre l'urbaniste Marie Christiaens. On ne fait pas partie des villes les plus menacées, mais on est quand même confronté à ce phénomène."
Pour elle, des erreurs d'urbanisme ont été commises dans le passé, et il faut aujourd'hui raisonner différemment pour attirer de nouveaux habitants, notamment en aérant les rues avec des espaces verts.
Aurillac fait également partie de 222 communes qui profiteront ces cinq prochaines années d'un projet national, "Coeur de ville", visant à redynamiser les centres. Une aide financière et structurelle précieuse.
Malgré la démographie en baisse, la paupérisation du centre et le manque de touristes, Alex Dumas croit en l'attrait de la ruralité face à des centres urbains qui deviennent "invivables". Pour lui, ce n'est qu'une question de temps avant que la tendance ne s'inverse.
Attirer des Parisiens précaires
En attendant, un projet cible déjà les populations en difficulté. Le projet "un toit, un emploi" propose à des Parisiens en grande précarité de se réinsérer à Aurillac.
"Sur Paris, quelque 40'000 personnes sont en recherche d'hébergements d'urgence, alors qu'ici, il y a des logements vacants", constate Pascal Polonais, de la fondation Aurore.
"En plus, on arrive bientôt au plein emploi, avec seulement 5% de chômage". Un phénomène que les grosses vagues de départ à la retraite devraient accentuer.
Mais troquer une vie de misère dans les rues de la capitale contre un logement et un travail dans une zone rurale n'est pas un changement forcément évident.
C'est pourquoi la fondation propose une immersion de quelques jours avant de prendre une décision. Pour l'instant, une soixantaine de personnes ont emménagé dans la région, notamment des familles, pour qui il semble plus facile de s'adapter.
Même si ses habitants assurent qu'il fait bon vivre à Aurillac, cette commune réputée "ville froide" peine à séduire. Ici les impôts semblent parfois trop élevés par rapport aux services publics et à un sentiment d'abandon que ressent la population.
C'est ainsi le grand écart entre la France urbaine qui tente de gérer l'afflux d'habitants, et la France rurale qui s'efforce de les attirer pour ne pas finir déserte.
Pour aller plus loin sur les problématiques de la France rurale, écouter l'entretien avec Hervé le Bras, démographe et enseignant à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales: