Denis Mukwege a été reconnu pour son travail dans son hôpital en République démocratique du Congo. Depuis 20 ans, il y prend en charge des femmes victimes de viols, souvent collectifs, en leur apportant une aide complète: médicale d'abord, puis psychologique, économique et juridique.
A Davos, il présentait avec le réalisateur Platon le film "My body is not a weapon" ("Mon corps n’est pas une arme"), qui met en lumière le cruel problème du viol en zone de conflits.
"Une arme, ça coûte, un viol, c’est gratuit"
Après le film, une phrase résonne, glaçante: "Une arme, ça coûte, un viol, c’est gratuit". "Cette phrase est terrible, mais c'est une réalité", commente Denis Mukwege qui, patiemment, conférence après conférence, appelle à une prise de conscience mondiale sur le viol de guerre, une arme "qui détruit notre humanité".
Les leaders des pays dirigeants, réunis dans les salons d'une station d'hiver huppée pour parler économie, sont-ils un public réceptif à ce message? Une fois encore, le "docteur qui répare les femmes" fait montre d'un optimisme forgé au feu de sa lutte. "Il y a dix ans, le message ne passait presque pas. Aujourd'hui, les gens s'y intéressent progressivement. Mais il est vrai qu'on n'a pas encore atteint le niveau où l'on aurait peur d'utiliser le viol comme arme de guerre", observe-t-il.
Des bourreaux eux-mêmes victimes
Car les viols systématiques continuent d'être pratiqués, notamment sur le continent africain, en Syrie ou en Irak avec les femmes yézidies, rappelle-t-il. "C'est le meilleur moyen pour détruire le tissu social et économique d'un pays. Et détruire non seulement le présent, mais aussi le futur de tout un peuple." Si la communauté internationale a réussi à mettre un terme à l'usage des armes chimiques ou biologiques, il n'y a aucune raison pour ne pas arriver à mettre aussi un terme au viol comme arme de guerre, juge-t-il.
La clé, pour le médecin, est l'éducation. "Les jeunes, voire les enfants, qui utilisent le viol comme arme de guerre se sont fait laver le cerveau par les groupes armés qui les enrôlent pour semer la terreur. Ce sont des bourreaux qui sont eux-mêmes victimes", souligne-t-il.
Education à l'empathie
A l'inverse, il faut éduquer très tôt les enfants à l'empathie aux autres. Mais dans son pays, la République démocratique du Congo, cet investissement est gangréné par la corruption et par la surdité face aux souffrances des femmes. L'éducation s'avère pourtant efficace à tous les niveaux. "Il y a dix ans, les femmes qui arrivaient à l'hôpital n'osaient pas raconter ce qu'il s'était passé, il fallait constater, et on comprenait à travers leurs larmes ce qui était arrivé", relate le médecin. Aujourd'hui, la parole se libère progressivement, note-t-il. "Et c'est l'arme absolue contre les violences faites aux femmes."
L'éducation comme credo, afin de libérer la parole et transférer la honte des victimes vers les bourreaux: le message d'espoir du Dr.Mukwege se veut l'avant-goût d'un profond changement de société.
Propos recueillis par Céline Tzaud, envoyée spéciale à Davos
Adaptation web: Katharina Kubicek