C'est la première fois que la junte militaire réprime dans le
sang une manifestation d'opposants, depuis son arrivée au pouvoir
il y a neuf mois. Plusieurs dizaines de milliers de manifestants
s'étaient rassemblés dans le plus grand stade de Conakry pour dire
leur opposition à l'éventuelle candidature du chef de la junte, le
capitaine Moussa Dadis Camara, à l'élection présidentielle de
janvier.
La France condamne
Ancienne puissance coloniale, la France a très vite condamné
lundi "avec la plus grande fermeté" cette "répression violente".
Elle a appelé les militaires à réaffirmer leur volonté de rendre le
pouvoir aux civils. "Si l'on ne veut pas que la situation dégénère,
cela nécessite que soit réaffirmée par les militaires leur volonté
de rendre le pouvoir aux civils le plus rapidement possible en
organisant les élections et en n'y participant pas", a déclaré le
secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophonie.
"Un carnage"
Après la dispersion violente du rassemblement par les forces de
l'ordre, 58 cadavres ont été apportés à la morgue du Centre
hospitalier universitaire de Donka, à Conakry, a affirmé à l'AFP un
médecin, sous couvert de l'anonymat.
"C'est la boucherie! Un carnage", a-t-il lancé. Dans un autre
établissement sanitaire de Conakry, l'hôpital Ignace Deen, une
source médicale a assuré au correspondant de l'AFP qu'un camion
militaire était venu pour ramasser des "dizaines de corps", emmenés
vers "une destination inconnue".
Le correspondant de l'AFP avait lui-même dénombré au moins une
dizaine de cadavres portant des traces de balles, couchés à même le
sol dans l'enceinte du stade du 28 septembre.
Dissimulation des cadavres
Selon un membre de la Croix-Rouge, il y a "une volonté de
dissimuler les corps des victimes" de la répression. "Les
dirigeants de l'armée ont demandé que tous les cadavres collectés
soient apportés au camp (militaire Alpha Yaya Diallo, siège de la
junte, ndlr) et non pas dans les morgues", a-t-il dit à
l'AFP.
Dans la matinée, les forces de l'ordre avaient d'abord dispersé
les opposants à l'aide de matraques et de grenades lacrymogènes
près du stade de la capitale, et arrêté des dizaines de personnes.
Puis le stade -qui compte officiellement 25'000 places- s'était
empli d'une foule débordant jusque sur les pelouses et aux abords,
et des tirs avaient été entendus.
Ces violences interviennent au moment où la communauté
internationale fait pression sur le chef des putschistes, au
pouvoir depuis le coup d'Etat du 23 décembre 2008, pour qu'il
respecte ses engagements de ne pas se présenter à l'élection et de
laisser le pouvoir aux civils.
afp/mej
Deux chefs des opposants blessés
L'ex-Premier ministre, Cellou Dalein Diallo, candidat à l'élection présidentielle et leader de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UDFG, opposition), a été blessé au cours de la manifestation.
Il en est de même pour l'ancien chef de gouvernement Sidya Touré, leader de l'Union des forces républicaines (UFR, opposition), selon leurs récits.
Ils ont été conduits au camp militaire Alpha Yaya Diallo, siège de la junte, puis transportés dans une clinique pour y être soignés.
"Il y avait une volonté délibérée de nous éliminer aujourd'hui, nous les opposants", a déclaré Sidya Touré à l'AFP.
"A bas l'armée au pouvoir"
"Non à Dadis" et "à bas l'armée au pouvoir", pouvait-on lire sur des pancartes brandies par des jeunes participant à la manifestation, qui avait été interdite par la junte.
Jusqu'à présent, le capitaine Dadis Camara soulignait volontiers que l'armée avait pris le pouvoir "sans effusion de sang", le 23 décembre 2008, au lendemain du décès du président Lansana Conté, qui régnait sans partage sur le pays depuis 1984.
"Le capitaine Moussa Dadis Camara (chef de la junte) a jeté son masque. Aujourd'hui le régime de la terreur se manifeste et cela peut s'aggraver", a déclaré à l'AFP Alioune Tine, le dirigeant de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme (Raddho), basée à Dakar.