Le 31 décembre 1999, Boris Eltsine annonce sa démission et déclare que Vladimir Poutine sera président russe par interim jusqu'à la présidentielle, prévue au printemps. "La Main de fer que notre peuple adore tant est arrivée", commente l'épouse du réalisateur Vitaly Mansky, en introduction du documentaire "Témoins de Poutine" (voir ci-dessus).
Vladimir Poutine est alors peu connu. Natif de St-Pétersbourg, il est un proche conseiller de Boris Eltsine pro-démocratique. Depuis août, il est président du gouvernement, après avoir été à la tête du Service fédéral de sécurité (FSB, ex-KGB). Il s'est fait remarquer par sa lutte sans merci contre les terroristes tchétchènes, lancée à la suite d'une série d'attentats qui ont fait près de 300 morts à Moscou entre fin août et mi-septembre.
C'est durant cette seconde guerre de Tchétchénie, qui fait des dizaines de milliers de morts en quelques mois, que Vladimir Poutine prononce cette phrase célèbre: "On poursuivra les terroristes partout (...). On les butera jusque dans les chiottes."
Un nouveau regard sur des archives
Une fois Vladimir Poutine président par interim, Vitaly Mansky participe à une opération de communication destinée à mieux le faire connaître. Le réalisateur a bien quelques doutes sur le personnage, mais il reste confiant. En 2001, il sort un film sur la base des nombreuses et intimes interviews réalisées. Aujourd'hui, le documentariste est devenu très critique envers le président (voir encadré) et en livre un nouveau portrait.
"Témoins de Poutine" raconte "comment une société, de manière volontaire, et presque gaiement, sort du chemin qui le mène à la démocratie et perd sa liberté", a confié le réalisateur à la RTS lors du Festival du film de Zurich en octobre dernier. "Ce qui m’a frappé, c’est à quel point nous n’avons pas été capables de voir tout ça", poursuit-il.
Ainsi, désormais, pour Vitaly Mansky, il ne fait pas l'ombre d'un doute que Vladimir Poutine va changer la Russie avec des méthodes bien à lui.
Campagne électorale sans débats
Durant la campagne électorale, Vladimir Poutine s'applique à faire passer son image "de poigne de fer" à "homme au grand coeur", aidé de ses conseillers qui l'invitent à regarder la caméra "avec bienveillance". Il ne participe pas aux débats car "les personnes impliquées (...) dans le gouvernement doivent prouver leurs compétences par des actes, et non par des spots électoraux", déclare le président ad interim. Boris Eltsine lui-même confie au réalisateur avoir accordé à son protégé "une longueur d'avance de six mois" pour que le peuple voie comment il travaille.
Poutine a pénétré le pouvoir comme un couteau chauffé à blanc dans du beurre
Vladimir Poutine fait le tour de presque toutes les régions. Mais il exprime peu ses intentions. Cette stratégie semble fonctionner puisqu'il est élu le 26 mars 2000 par 52,52% des voix, contre 29,2% au communiste Guennadi Ziouganov.
Le succès est tel qu'il n'y a pas besoin de deuxième tour, au grand dam de son allié Boris Nemtsov. Entre les deux tours, "le favori aurait été obligé de prendre des engagements", précise à regret ce futur opposant, qui sera assassiné en 2015 à proximité de la place Rouge.
La mise en place d'une nouvelle ère
Une fois élu, des changements sont mis en place "par des détails", analyse Vitaly Mansky rétrospectivement. Par exemple, Vladimir Poutine réintroduit l'hymne soviétique. Celui-ci a certes de nouvelles paroles, mais il avait été abandonné par Boris Eltsine. "Pourquoi ne pas penser à la victoire de la Seconde Guerre mondiale plutôt qu'aux goulags?", interroge le président Poutine, qui explique vouloir "restaurer la confiance des citoyens envers les dirigeants".
Avec le teint blafard et le visage émacié, le nouveau président semble habité par le souci permanent de défendre les intérêts de l'Etat. "Poutine au début des années 2000 ressemblait un peu à un éclaireur, ou à ce personnage du film «Stalker» qui tente de pénétrer dans une chambre à travers un champ de mines. Il avançait alors avec prudence, en tâtant le sol... Mais une fois qu'il est entré dans cette chambre, il s’est bétonné de l’intérieur. Et il s’est avéré qu'il n’était pas du tout précautionneux, attentionné, mais un homme d’attitude plutôt volontariste, dur, dictatorial", commente Vitaly Mansky.
A la fin du film, Vladimir Poutine indique être heureux de ne pas être un monarque, jugeant cette vie "trop difficile" en raison d'une "destinée" non-maîtrisable. Il estime aussi que le fait de redevenir un jour "un citoyen normal" pousse à trouver les meilleures solutions pour le pays. Mais peut-il vraiment redevenir un simple citoyen? "Ce n'est plus possible, Poutine est aussi devenu un otage de ce système qu'il a construit. Il s’est mis lui-même au pied du mur, dans une situation sans issue", conclut le réalisateur.
Depuis cette période, Vladimir Poutine n'a plus jamais autorisé un tournage aussi libre à un réalisateur. Quant aux membres de son équipe de campagne, hormis Dmitri Medvedev, ils sont tous passés dans l'opposition, ou ont été écartés. Certains ont été tués.
>> Le documentaire "Témoins de Poutine" a été diffusé sur RTS2 dimanche 3 mars 2019. Il est disponible dans RTSplay jusqu'au 10 mars. : Vladimir Poutine menace de déployer ses nouveaux missiles
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Caroline Briner
Vitaly Mansky, un réalisateur russe critique
Né en 1963 à Lvov, en Ukraine, Vitaly Mansky a réalisé plus de 30 films.
A la fin des années 1990, alors qu'il était chef de l’unité documentaire d'une chaîne d’Etat, il a mené de front les portraits de Gorbatchev, d'Eltsine et de Poutine, "par un concours de circonstances".
Ensuite, Vladimir Poutine lui a demandé de tourner un film sur lui. Il recourt à un caméraman ou filme lui-même. Ce sont principalement ses images, plus intimes, qui figurent dans "Témoins de Poutine".
Depuis 2014, fâché de l’intervention russe en Ukraine, il vit en Lettonie. Mais il continue de diriger en Russie un festival de films documentaires. Désormais très critique du gouvernement, il reçoit toujours plus de pressions des autorités... et de moins en moins de financement.