Modifié

Un médecin algérien affirme qu'Abdelaziz Bouteflika est inapte au travail

"Pas de cinquième mandat," est-il écrit en arabe sur la feuille brandie par cette manifestante, à Alger. [Keystone/ap - Anis Belghoul]
Témoignage d’un médecin algérien sur les mobilisations contre le président Bouteflika / Tout un monde / 5 min. / le 8 mars 2019
Les langues se délient en Algérie: de plus en plus de gens osent affirmer qu'ils ne veulent plus du président Abdelaziz Bouteflika. Une prise de parole publique qui aurait été impensable il y a quelques mois encore.

Le président Abdelaziz Bouteflika est toujours hospitalisé aux HUG à Genève: il serait "sous menace vitale permanente," même si son directeur de campagne assurait jeudi que sa santé n'inspirait "aucune inquiétude".

En Algérie, la rue continue de se mobiliser: vendredi s'est produite une nouvelle grosse mobilisation à l'échelle nationale pour s'opposer à la candidature de cet homme de 82 ans à un cinquième mandat présidentiel.

Une parole qui se libère

Signe peut-être que les choses bougent, sur place, un médecin algérien a osé publié un message très critique sur les réseaux sociaux. Et cela avant les premières manifestations, début février.

Il lui a fallu un courage certain, historique. Aucun de ses confrères ne s'était encore exprimé ainsi: "Je soussigné certifie – sans avoir consulté ou examiné le Président, mais de l'avoir vu à travers les médias – qu'il est inapte au travail et qu'il nécessite un arrêt de travail de longue durée. Il est tout à fait évident qu'on doit lui appliquer l'article 102".

L'article 102

L'article 102 de la Constitution algérienne déclare: "Lorsque le Président se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel doit proposer au Parlement de déclarer l'état d'empêchement". [Keystone/epa - Mohamed Messara]
L'article 102 de la Constitution algérienne déclare: "Lorsque le Président se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel doit proposer au Parlement de déclarer l'état d'empêchement". [Keystone/epa - Mohamed Messara]

Cet article de la Constitution algérienne stipule que "lorsque le Président se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel doit proposer au Parlement de déclarer l'état d'empêchement" et ce avant la tenue de nouvelles élections.

Une disposition pour l'instant allégrement piétinée par le Conseil constitutionnel... l'explication tient dans le fait que son président est très proche d'Abdelaziz Bouteflika: le mandat qu'il s'est donné n'est pas de le contredire, mais de le servir.

Le docteur s'était tu jusque-là – comme tant d'autres – mais, oubliant sa peur, il s'en prend frontalement à celui qui est au pouvoir depuis 1999: "Il est aphasique, grabataire. Tout le monde l'a vu le 1er novembre: il était assis en chaise roulante. Il était attaché à cette chaise roulante!"

Risques de représailles

Avec ce discours, le médecin s'expose à des représailles: "Je ne pouvais pas, en tant que médecin algérien, laisser faire. Je ne pouvais que libérer ma conscience: il fallait que je le dise, même si le risque est grave pour moi. Je suis en Algérie, et je reste en Algérie. J'étais à l'avant-garde avec ma déclaration mais, juste après, toute l'Algérie s'est révoltée. On ne veut plus de Bouteflika, ni de ses frères, ni de son clan. On n'a plus le droit de se taire, notamment nous, les intellectuels. Et de surcroît, les médecins! Il a complètement détruit les institutions. Nous sommes tout le temps censurés. C'est un pouvoir de dictateur".

Dans la foulée, il a publié un manifeste. Signé par des dizaines et des dizaines de médecins. Désormais, ils sont soutenus par des juristes, des journalistes, qui s'appuient sur leurs compétences pour s'opposer publiquement au régime.

Les Algériennes et les Algériens retrouvent leur citoyenneté.

Ecouter le sujet radio complet d'Aline Hacard en média principal.

Adaptation web: Stéphanie Jaquet

Publié Modifié

Le message du médecin aux autorités suisses

A ce jour, Abdelaziz Bouteflika est toujours soigné à Genève, en privé. Pendant ce temps, en Algérie, selon ce docteur, "les hôpitaux publics sont dans un état de délabrement total".

Le médecin attend du gouvernement suisse qu'il entende la rue algérienne: "Sur le plan humain, il est tout à fait normal que la Suisse doive le prendre en charge médicalement. Sur le plan politique, la Suisse doit réagir quand elle prend en charge des dictateurs".