"La Cour suprême a annulé le verdict dans l'affaire du meurtre
de Politkovskaïa. L'affaire va être réexaminée par de nouveaux
jurés", a déclaré à l'AFP un porte-parole de la juridiction, Pavel
Odintsov. Les magistrats ont ainsi donné gain de cause au Parquet
général, qui avait requis l'annulation du verdict et insistait sur
la nécessité d'un complément d'information en invoquant des vices
de procédures lors du premier procès.
Une affaire restée obscure
Les jurés avaient acquitté le 19 février les complices présumés
du meurtre de la célèbre journaliste russe, après trois mois d'un
procès qui n'avait pas permis de faire la lumière sur les motifs du
crime ni sur l'identité du commanditaire.
Les deux frères tchétchènes Djabraïl et Ibraguim Makhmoudov
étaient soupçonnés d'avoir surveillé les déplacements d'Anna
Politkovskaïa et d'avoir conduit sur les lieux du crime le tueur
présumé, leur frère Roustam, qui n'a jamais été arrêté. Un ancien
policier, Sergueï Khadjikourbanov, soupçonné d'avoir organisé la
logistique de l'assassinat, avait alors aussi été acquitté.
Les trois accusés ont été remis en liberté à la suite du verdict
qui avait suscité de vives critiques de la part d'organisations de
défense des droits de l'Homme et d'institutions européennes. Le
Conseil de l'Europe avait dénoncé un "échec patent" du procès et
l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
s'était élevée contre "l'impunité" des tueurs de journalistes qui
en Russie "écrivent sur la corruption et les violations des droits
de l'Homme", une réaction qualifiée de "provocation" par
Moscou.
De leur côté, les Etats-Unis avaient appelé la Russie à rechercher
les responsables "le plus rapidement possible" et la France avait
jugé "essentiel" que les auteurs de l'assassinat "répondent de ce
crime odieux".
Quelques jours après l'annonce du verdict, le Parquet général
russe avait promis de continuer l'enquête "jusqu'à ce que toutes
les personnes impliquées dans ce crime, y compris le commanditaire,
soient identifiés".
Eléments bibliographiques
Née en 1959, Anna Politkovskaïa était l'une des rares
journalistes russes à avoir dénoncé les atteintes aux droits de
l'Homme lors du conflit en Tchétchénie et à critiquer ouvertement
les abus du système politique et judicaire sous Vladimir Poutine,
alors président du pays.
Elle s'est rendue à nombreuses reprises dans les zones de combats
en Tchétchénie et dans des camps de réfugiés au Daghestan, puis en
Ingouchie. À ce titre, Anna Politkovskaïa a été plusieurs fois
primée en Russie, et par le Pen Club International, en 2002. Elle a
reçu au Danemark, en février 2003, le prix du Journalisme et de la
Démocratie, décerné par l'Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE).
En octobre 2002, au péril de sa vie, Anna Politkovskaïa a accepté
de servir de négociatrice lors de la prise d'otages dans un théâtre
de Moscou, qui s'est terminée de manière dramatique. Régulièrement
menacée, elle a subi une tentative d'empoisonnement en 2004, alors
qu'elle se rendait dans le Caucase.
afp/mej
Les parties insatisfaites
La défense a aussitôt fait savoir qu'elle contesterait l'arrêt de la juridiction suprême devant la Cour européenne des droits de l'Homme à Strasbourg. "C'est une décision politique prise au plus haut niveau. Nous allons la contester, mais c'est presque inutile à l'intérieur du pays", a déclaré à l'AFP l'un des avocats de la défense, Mourad Moussaïev.
Les enfants de la journaliste, assassinée par balles le 7 octobre 2006 dans le hall de son immeuble à Moscou, ont eux aussi critiqué cette décision.
La famille d'Anna Politkovskaïa "était tout à fait d'accord avec le verdict d'acquittement", a rappelé leur avocate, Anna Stavitskaïa. "Avec les preuves qu'on leur avait présentées, les jurés ne pouvaient pas décider autrement", a-t-elle indiqué à l'AFP.
"Dans le nouveau procès le verdict sera le même, car les preuves seront les mêmes", a-t-elle ajouté, en demandant qu'une "nouvelle enquête soit faite".