Les journalistes de la RTS remontent le temps pour faire le récit des mille jours qui ont changé le destin du Royaume-Uni avec vidéos, photos et anecdotes. A lire même si vous êtes BOB. Bob? Bored of Brexit, ou "fatigué du Brexit".
Chapitre 1
Genèse
AFP - Isabel Infantes
Difficile d'imaginer un monde sans Brexit. Contraction entre "British" et "Exit", ce mot-valise désigne la volonté du Royaume-Uni de sortir de l'Union européenne (UE). C'est le choix fait par 51,9% des électeurs britanniques le 23 juin 2016.
Depuis le terme s'est imposé. Au point d'être sacré mot de l'année 2016 en langue anglaise. Son adversaire, le "Bremain" ("Britain" + "Remain") pour le maintien du pays dans l'UE, n'existe plus qu'en version courte, "Remain". Quant au "Bremorse" ("Britain" + "Remorse"), pour ceux qui regrettent leur vote, il se fait discret.
"Zizanie" britannique
Depuis trois ans, le Brexit est partout. Dans les rédactions, la "zizanie" britannique s'apparente à un défi quotidien. Les Anglais seraient-ils devenus fous? "En tant que chef de rubrique, on se sent otage du Brexit", constate Jean-Philippe Schaller, responsable de l'international à la télévision.
En tant que spectateur, on n'y comprend plus rien. Même d'éminents journalistes de la BBC s'avouent parfois perdus face à la complexité du processus. "I haven't the foggiest idea" ("je n'en ai pas la moindre idée"), reconnaît par exemple le spécialiste politique Chris Mason au matin du 12 novembre 2018. Mais en fait, comment en est-on arrivé là?
Chapitre 2
Le point de bascule
AFP - JOHN MACDOUGALL
Le scrutin a été lancé par le Premier ministre conservateur David Cameron pour asseoir son pouvoir et venir à bout de l'eurosceptiscisme au Royaume-Uni. Le référendum ne devait être qu'une formalité, rappelle Gaspard Kühn, qui a suivi la campagne du Brexit et le vote pour RTSinfo:
Manipulation de l'opinion publique
Personne n'a vu venir cette lame de fond avant les semaines qui ont précédé le vote sur
le Brexit. Peut-être parce que, pour la première fois de l'histoire,
un mensonge a été diffusé à grande échelle sur les réseaux sociaux
, grâce notamment à l'utilisation des données personnelles.
Les dirigeants de la campagne pro-Brexit, Boris Johnson en tête, ont ainsi réussi à faire croire qu'en cas de oui le Royaume-Uni économiserait 350 millions de livres par semaine qu'il pourrait réaffecter à son système de santé.
Un "échec complet"
"J'ai senti le vent tourner et pas forcément dans le sens qu'on imaginait quand, au cours d'un reportage dans le Pays de Galles, dans un lieu censé être anti-Brexit, je me suis aperçu que les partisans d'une sortie de l'UE étaient bien plus mobilisés", témoigne Gaspard Kühn, qui conclut: le référendum a été un '"échec complet".
Je ne crois pas qu'il soit opportun que je sois le capitaine qui mène notre pays vers sa prochaine destination
Quelques minutes après l'annonce des résultats, David Cameron annonce sa démission. "Les Britanniques ont pris une décision claire et je pense que le pays a besoin d'un nouveau leader pour prendre cette direction", déclare-t-il devant le 10, Downing Street, sous le regard attentif de son épouse.
Il cède sa place à sa ministre de l'Intérieur, une certaine Theresa May.
Chapitre 3
"Brexit means Brexit"
AFP - Kirsty Wigglesworth
Elle est devenue le visage du Brexit. Malgré elle? A 62 ans, travailleuse et sérieuse, souvent tournée en dérision pour ses multiples extinctions de voix, Theresa May reste un personnage politique difficile à cerner.
En choisissant d'embarquer le pays vers un "hard Brexit", ignorant les 48% d'électeurs qui y étaient opposés et qu'on a vu déclarer leur amour de l'UE dès les premiers jours qui ont suivi le référendum,
la Première ministre porte sa part de responsabilité dans ce qui s'est passé par la suite, analyse Catherine Ilic, correspondante radio de RTSinfo à Londres.
Elle se souvient avec précision du jour où Theresa May a présenté sa stratégie à l'automne 2016. Et depuis, celle-ci n'a pas bougé d'un iota.
Aucun accord pour la Grande-Bretagne vaut mieux qu'un mauvais accord
Le 17 janvier 2017, Theresa May annonce que le Royaume-Uni quittera le marché unique en même temps que l'Union européenne devant les diplomates étrangers et les négociateurs britanniques du Brexit réunis à Lancaster House, là même où Margaret Thatcher avait annoncé en 1988 le soutien britannique au marché unique.
Ping-pong
Neuf mois après le référendum, la procédure de divorce est enclenchée. Le 29 mars 2017,
Londres active l'article 50 du traité européen de Lisbonne
dans une lettre au président du Conseil européen Donald Tusk. Le texte prévoit que "tout Etat membre peut décider de se retirer de l'Union" et fixe un délai de deux ans. Le Brexit devra être négocié et ratifié d'ici au 29 mars 2019.
Deux jours plus tard, le gouvernement britannique reçoit la feuille de route des Européens qui posent leurs conditions. Les deux ans qui suivront ressembleront à une longue partie de ping-pong entre Londres et Bruxelles.
Chapitre 4
Le divorce
AFP - Patrick Hertzog
Des négociations sans fin. C'est un peu ce qui restera du processus de sortie du Royaume-Uni. De la première journée de discussions formelles entre l'Union européenne et le Royaume-Uni le 19 juin 2017 à ce début 2019, que s'est-il passé côté européen?
"Aujourd'hui, il y a de la lassitude (...) mais les Vingt-Sept ont réussi à rester unis face à Londres ces derniers mois", observe Isabelle Ory, correspondante de RTSinfo à Bruxelles.
La sortie du Royaume-Uni a représenté un véritable défi pour l'Union européenne tant d'un point de vue existentiel qu'économique et politique. A ce titre,
le négociateur en chef du Brexit Michel Barnier a joué un rôle de médiateur remarquable
, relève la spécialiste des affaires européennes.
Alors que la crise politique enfle au Royaume-Uni, le 25 octobre 2018, des centaines de milliers de partisans du "Remain" réclament un second référendum dans les rues de Londres. Les organisateurs estiment à 700'000 le nombre de manifestants, du jamais vu depuis une manifestation contre la guerre en Irak en 2003.
Nonobstant les divisions internes, Theresa May trouve un accord avec Bruxelles à la mi-novembre.Michel Barnier salue une "étape décisive" mais à Londres plusieurs ministres démissionnent, insatisfaits des termes négociés. Qu'importe, le25 novembre 2018, les dirigeants de Vingt-Sept valident l'accord.
Le lendemain, la Première ministre britannique annonce qu'il sera soumis à son Parlement le 11 décembre. Mais craignant de ne pas avoir de majorité, Theresa May finit par reporter le vote au 15 janvier. Dans le camp européen, on perd patience. Que les Britanniques se débrouillent. Enough is enough.
Chapitre 5
Casse-tête irlandais
Nurphoto/AFP - Artur Widak
Les 500 kilomètres qui séparent l'Irlande de la province britannique d'Irlande du Nord sont la principale épine dans les négociations du Brexit
et la principale raison pour laquelle la Chambre des communes a rejeté, trois fois de suite, l'accord négocié par Theresa May avec l'UE. La crainte? Que le retour d'une frontière fragilise
les accords de paix du Vendredi Saint qui, en 1998, mirent fin à trente ans de guerre civile entre nationalistes catholiques et unionistes protestants en Irlande du Nord.
"Sous la surface, le traumatisme est profond. On n'oublie pas les 3500 morts", souligne Laurent Burkhalter, le correspondant de RTSinfo au Royaume-Uni, qui s'est rendu plusieurs fois en Irlande du Nord. Une majorité de la population n'a jamais voulu d'une sortie de l'Union par peur qu'un retour des checkpoints n'offre une cible de choix à ceux qui veulent ranimer le conflit, explique-t-il.
Porteuse d'un projet de paix, l'Europe avait permis d'établir les conditions essentielles pour résoudre le conflitirlandais en éliminant les barrières économiques et physiques entre Irlande du Nord et République d'Irlande après la création du marché unique en 1993.
Aussi, dès l'automne 2017, l'UE a-t-elle exigé que tout accord entraînant le retrait du Royaume-Uni garantisse après le Brexit l'absence de frontières physiques entre les deux Irlande. L'enjeu est de taille: 31% des exportations nord-irlandaises allaient en Irlande en 2016 et près de 30'000 personnes passent la frontière chaque jour, selon des chiffres cités par Le Monde.
Le principe du "backstop"
Pour éviter une impasse, l'équipe de Michel Barnier a donc imaginé le "backstop", ou filet de sécurité. Cette clause prévoit que le Royaume-Uni demeure dans une union douanière avec l'Union européenne, avec un alignement plus poussé sur les normes de l'UE pour l'Irlande du Nord, dans le cas où aucune solution ne soit trouvée pour éviter le retour d'une frontière terrestre.
Cette option ne convainc pas les eurosceptiques britanniques dont fait partie le DUP. Cette petite formation ultra-conservatrice nord-irlandaise, dont les dix députés ont le pouvoir d'enlever la majorité à Theresa May, s'oppose à tout accord qui risquerait d'aboutir à un traitement différent de l'Irlande du Nord par rapport au reste du Royaume-Uni, voire qui pourrait entraîner une réunification de l'Irlande.
Chapitre 6
Deal or no deal?
Keystone/Pa via Ap - Yui Mok
Entre fausses promesses et mensonges, maladresses politiques et intransigeance, le Royaume-Uni arrive cahin-caha et divisé à la date initialement prévue pour une sortie de l'Union européenne, soit le 29 mars 2019.
Ce jour-là, à la Chambre des communes, célèbre pour l'esprit de confrontation qui y règne (écouter l'audio ci-dessous), l'accord est rejeté pour la troisième fois. La Première ministre Theresa May avait pourtant mis sa démission dans la balance.
Dans l'impasse, puisque les députés ont également refusé l'option d'un "no deal",
le Royaume-Uni a jusqu'au 12 avril pour trouver une alternative
permettant une
sortie ordonnée de l'Union. Le cas échéant, la sortie aura lieu le 22 mai, soit une semaine avant les élections européennes. De quoi faire hurler les chantres du Brexit d'hier, Boris Johnson et Nigel Farage, par ailleurs député européen, de retour sur le devant de la scène.
Vers une "flextension"
Le 5 avril, Theresa May demande un report du Brexit au 30 juin pour tenter de surmonter la crise politique au Royaume-Uni. Dans un courrier, elle s'engage à lancer les préparatifs pour participer aux élections européennes. La veille, elle s'est rapprochée de son rival politique, le travailliste Jeremy Corbyn.
Sa requête est reçue avec circonspection par ses homologues européens. Mais derrière l'apparente fermeté et les signes d'impatience, la perspective d'un "no deal" inquiète. Le président du Conseil européen Donald Tusk suggère un report "flexible", surnommé "flextension", d'un an maximum. Cela suffira-t-il pour éviter le chaos?
[Mise à jour du 11 avril 2019] Avant le sommet européen extraordinaire convoqué après le troisième rejet de l'accord négocié avec Theresa May, la Première ministre britannique s'est rendue à Berlin et à Paris.
Si la chancelière allemande Angela Merkel a dès le début annoncé être prête à tout faire pour éviter une sortie brutale du Royaume-Uni, le président français Emmanuel Macron s'est montré plus réticent.
Six mois de plus
Le 10 avril 2019, l'UE s'est finalement entendue sur un report du Brexit au 31 octobre. Une proposition que Londres a accepté. "Cela signifie six mois de plus pour que le Royaume-Uni trouve la meilleure solution possible", a déclaré le président du Conseil européen, Donald Tusk. "Durant cette période, le Royaume-Uni aura aussi la possibilité (...) d'annuler la procédure du Brexit", a-t-il dit.
Ce nouveau report de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, qui était programmée au 12 avril, a permis d'écarter - au moins pour un temps - la perspective d'un divorce sans accord.
Cette date se situe juste avant la prise de fonction en novembre de la nouvelle Commission européenne. Rendez-vous est donné en juin pour un point d'étape.