"En Algérie, on a beaucoup rêvé de démocratie, même si on ne l'a jamais connue", affirme Amina Djahnine. D'origine berbère de Kabylie, la Lausannoise vit en Suisse depuis 24 ans, après un exil forcé. Car sa famille, de gauche et très engagée dans les droits démocratiques en Algérie, a payé un lourd tribut pour son combat, avec notamment l'assassinat de la soeur aînée d'Amina Djahnine, militante féministe, en 1995.
"Notre printemps arabe à nous dure depuis 1988, date du premier soulèvement contre le parti unique FLN", souligne la Lausannoise. Ce mouvement populaire, réprimé par l'armée, a ouvert la page d'une "décennie noire", où quelque 150'000 personnes ont perdu la vie dans des assassinats ou des violences. "C'est à ce moment-là que les Algériens ont commencé à exprimer leur opposition à un régime qui les oppressait."
"La peur a gagné"
Durant cette décennie, les assassinats se sont faits de manière progressive, ciblée, visant d'abord les intellectuels, les journalistes, les écrivains et acteurs culturels. "L'effet voulu a été atteint: nous avons été dispersés, l'espace public a été interdit, la peur a gagné", décrit Amina Djahnine. Les excuses présentées mercredi aux Algériens par le président démissionnaire Abdelaziz Bouteflika? "Je ne vois pas l'intérêt de sa démarche, en comparaison à des décennies de répression", balaie-t-elle.
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Aujourd'hui, c'est une attitude nouvelle que la réalisatrice observe parmi les dizaines de milliers de manifestants qui occupent les rues d'Alger pour réclamer un changement profond de leur pays. "Les gens ne veulent plus entendre parler de ce passé sombre. Ces jeunes n'ont pour la plupart pas vécu consciemment la décennie noire, ils n'ont pas peur, ils sont dans un état d'esprit festif."
Refus du système
En contact constant avec des Algériens du pays, Amina Djahnine relève encore leur refus viscéral de tout ce qui rappelle le système, et leur envie de se faire entendre, d'occuper un espace public trop longtemps interdit. Les femmes, notamment, se sont organisées massivement pour dénoncer un code de la famille qui, aujourd'hui encore, les enferme dans un statut de mineures à vie, souligne-t-elle.
"A mon avis, le moment serait venu de créer une assemblée constituante, où les revendications de nombreux acteurs de la société seraient discutées et entendues", souhaite Amina Djahnine. "Même si, je le sais, ceci un idéal".
Propos recueillis par Elisabeth Logean
Adaptation web: Katharina Kubicek