Le "No Deal", c'est le scénario catastrophe du Brexit. Une sortie sans accord de divorce le 12 avril prochain, le cauchemar des milieux économiques, autant redoutée par les Britanniques que par les Européens. Ces dernières semaines au Parlement à Londres, on s'écharpe sur les modalités d'une sortie ordonnée et on conjecture sur la démission de la Première ministre Theresa May.
Décodage des principaux enjeux économiques et politiques avec Cédric Dupont, professeur à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève.
Une pagaille, vraiment?
Sans accord de divorce entre Londres et Bruxelles, on redoute les avions cloués au sol, les camions bloqués à Douvres et à Calais ou les pièces détachées qui ne peuvent plus traverser la Manche sans entrave. "Il y aura de toute façon un accord en cas d'urgence", tempère Cédric Dupont dans Géopolitis. "Un accord bricolé à très court terme. Le Royaume-Uni ne disparaîtrait pas dans un trou noir. Mais le pays perdrait plusieurs points de PNB. Probablement entre 4 et 10 points, en tout cas à court terme", précise-t-il.
L'Union européenne et le Royaume-Uni ont tissé au fil de leurs 46 ans de mariage un système de production intégré. "Tout sera à revoir", souligne Cédric Dupont. "C'est comme si on optait pour un accord de type suisse: la Suisse a mis 40 ans pour obtenir l'ensemble des accords. Les Britanniques devraient refaire la même chose en 3 ans. Ce qui paraît absolument hallucinant!"
Touche pas à ma Mini!
L'exemple des moteurs BMW assemblés en Grande-Bretagne est frappant pour illustrer l'imbrication des économies britannique et européenne. Avant d'atterrir dans une voiture Mini, moteurs et pièces détachées peuvent traverser la Manche à de nombreuses reprises, comme le rappelle Cédric Dupont. Certaines pièces viennent de France ou d'Allemagne sans aucune barrière douanière.
Mais avec le Brexit, se pose la question d'un retour des taxes aux frontières. "Cela ralentirait à chaque fois le processus et renchérirait le coût d'une Mini", précise-t-il. Honda a déjà annoncé la fermeture de son site de production de Swindon. D'ici 2021, 3500 emplois sont menacés.
Attention "backstop"
Finalisé le 25 novembre 2018, l'accord de divorce entre le Royaume-Uni et l'Union européenne tient en un pavé de 585 pages et 3 protocoles. Les Britanniques paieraient 45 à 50 milliards d’euros leur ticket de sortie.
Parmi les problèmes les plus épineux, la frontière de 499 km séparant l'Irlande du Nord - qui va quitter l'Union européenne - et la République d'Irlande, qui en fait partie. Dublin obtient une clause spéciale, le fameux "backstop" (filet de sécurité), qui évite un retour immédiat aux frontières physiques entre les deux Irlandes. Et ainsi préserve l’accord de paix signé en 1998, qui avait mis fin au conflit irlandais. "Cela impose au Royaume-Uni de donner un traitement éventuellement différent à l'une de ses provinces. Ce qui est effectivement très difficile à accepter pour les gens qui veulent garder l'intégrité du Royaume-Uni", relève Cédric Dupont.
Un divorce mal engagé
La Première ministre britannique Theresa May reste déterminée à conduire le Royaume-Uni hors de l'Union européenne. Mais son accord de divorce a été balayé à trois reprises au Parlement. "Theresa May n'a pas voulu négocier en interne. Elle n'a pas cherché à tisser des ponts avec l'opposition, ce qui aurait permis de dégager peut-être plus de marge de manoeuvre par rapport à une Union européenne sur ses rails."
Le Royaume-Uni serait-il victime de son système politique? Cédric Dupont évoque une autocratie bipartisane qui rend difficile tout compromis. "Ce qui compte pour un chef de gouvernement britannique, c'est avant tout de préserver l'unité de son parti, qui lui permet de préserver sa majorité au Parlement, au lieu d'essayer de jeter des ponts vers l'opposition. (...) Et donc peu importe l'intérêt national, ce qui compte avant tout c'est l'intérêt du parti".
Mélanie Ohayon