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"Vladimir Poutine a récupéré la Crimée, mais il a perdu l'Ukraine"

Géopolitis: Ukraine, l'enlisement [REUTERS - Oleksandr Klymenko]
Ukraine, l’enlisement / Geopolitis / 25 min. / le 14 avril 2019
L'Ukraine en guerre élit le 21 avril son nouveau président. L'acteur comique Volodymyr Zelensky se profile comme favori, dans un pays divisé et encore profondément marqué par la révolution de Maïdan et l'annexion de la Crimée.

Un vent de "dégagisme" souffle sur l'Ukraine cinq ans après la révolution de Maïdan qui a vu le pays tourner le dos à son passé soviétique et entrer en guerre avec son voisin russe. Entre espoir et désenchantement, le coeur des Ukrainiens balance. Lassés par une guerre dont ils ne voient pas la fin, par les scandales de corruption à répétition, une majorité d’entre eux a porté en tête du premier tour le comédien Volodymyr Zelensky. Ces élections s’inscrivent dans un contexte de profonde défiance à l’égard de la classe politique: à peine 9% des Ukrainiens accordent leur confiance au pouvoir politique, révèle un récent sondage.

Volodymyr Zelensky est devenu célèbre dans une série télévisée "Serviteur du peuple", où il incarne le rôle d'un jeune professeur devenu un président intraitable, en lutte contre les oligarques. Et dans la réalité, le voilà favori pour battre au second tour le président sortant Petro Porochenko, en disgrâce dans l'opinion publique. "Sur le plan extérieur, Porochenko a réussi à stabiliser le pays et à donner une image positive de l’Ukraine, analyse dans Géopolitis Vicken Cheterian, chargé de cours au Global Studies Institute de Genève. Mais sur le plan intérieur, c’est une catastrophe. Les promesses de réformes économiques et de lutte contre la corruption n’ont pas donné de résultat." Petro Porochenko accuse son rival, qui a fait acte de candidature en langue russe… d’être à la solde de Moscou.

Ce duel improbable tourne à la farce. Porté par sa victoire au premier tour, Volodymyr Zelensky donne le tempo. Il propose un débat à son rival en plein coeur du stade olympique de Kiev. Et lance des défis par vidéos interposées à Petro Porochenko. En direct sur les réseaux sociaux, les deux hommes se sont livrés à une séance d’analyses sanguines pour prouver leur probité quant à la consommation d’alcool et de drogue. Ce deuxième tour, observé de près par Moscou et les chancelleries occidentales, pourrait marquer l’émergence d'une nouvelle forme de populisme politique en Ukraine, cinq ans après les événements tragiques de la place Maïdan.

Une révolution extrême

Février 2014, alors que Vladimir Poutine inaugure avec fastes les Jeux olympiques de Sotchi, Kiev est en état de siège. Sur la place Maïdan, on assiste à des scènes de guerre. Casqués et masqués, des jeunes révolutionnaires envahissent des ministères et dressent des barricades. Les affrontements avec les Berkout, les unités spéciales du gouvernement, sont très violents. Déchirés entre ceux qui aspirent à un rapprochement avec l’Europe et ceux qui souhaitent le maintien dans la sphère d’influence russe, le pays se déchire. Le 20 février, les tensions atteignent leur paroxysme. Plus de 100 personnes sont tuées. Des hôpitaux de fortune sont dressés à même le sol des palaces de la capitale. Le destin de l'Ukraine bascule le 22 février 2014. Le président pro-russe Viktor Ianoukovitch prend la fuite pour son fief de Donestk, avant de se réfugier en Russie.

L'Union européenne a très mal géré cette crise. Elle l'a même provoquée.

Vicken Cheterian, Global Studies Institute - Genève

Cinq ans après, une révolution désenchantée

Porteuse d’espoir et de changements profonds, cette révolution entraîne la tenue d’élections anticipées et l’arrivée au pouvoir d’un nouveau président. Petro Porochenko, un homme d'affaires milliardaire qui a fait fortune dans l'industrie du chocolat et se présente comme l'homme providentiel. Le pays engage un vaste plan de réforme et tourne définitivement le dos à son passé soviétique, on renverse les statuts de Lénine. Le pays est très clivé. "L'Europe a très mal géré les choses. L’Europe a même provoqué cette crise ukrainienne de 2014. Elle l’a gérée avec une logique de bureaucrates", analyse Vicken Cheterian.

Moscou entre alors en scène et apporte son soutien aux milices sécessionnistes pro-russes qui ont pris les armes à l’est du pays. Dès le début de la guerre, l'Ukraine perd des pans entiers de son territoire. Le Donbass et les richesses de ses ressources minières, puis la Crimée annexée en mai 2014 par Moscou.

Le conflit s’internationalise. Entre l'Occident et la Russie, les tensions sont vives. "L'Ukraine, c’est une obsession géopolitique pour le président Poutine", explique Vicken Cheterian. "Poutine a essayé de gagner des dividendes sur le plan intérieur en Russie en instrumentalisant le nationalisme et adoptant une posture agressive sur la question ukrainienne. Je dirais que Poutine a gagné sur le plan intérieur, mais il a perdu l’Ukraine."

C'est une énorme erreur de la part de Bruxelles mais aussi de Moscou de forcer l’Ukraine à choisir.

Vicken Cheterian

La Russie considère l'Ukraine comme son berceau historique et un rempart stratégique face à la progression de l’influence de l’OTAN dans l’ancienne sphère d’influence russe, en Europe de l’Est et dans les pays baltes. Aujourd'hui encore, le contexte demeure explosif. Une guerre larvée, à bas bruit, se poursuit et fait chaque jour ou presque de nouvelles victimes. "Je pense que c’est une énorme erreur de la part de Bruxelles, mais aussi de Moscou, de forcer l’Ukraine à choisir. L'Ukraine est un immense pays avec un énorme potentiel. A l’avenir j'espère qu'elle jouera un rôle de pont entre la Russie et l’Occident", conclut Vicken Cheterian.

Depuis 2014, plus de 10'000 Ukrainiens ont perdu la vie, 1,6 million de civils contraints à l’exil. L'une des plus graves crises humanitaires depuis l’après-guerre sur le continent européen.

Olivier Kohler

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