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Bangkok à feu et à sang: deux morts

L'armée a fait usage de la force pour contrer les manifestants.
L'armée a fait usage de la force pour contrer les manifestants.
L'armée thaïlandaise est intervenue massivement lundi à Bangkok contre les manifestants qui réclament la démission du Premier ministre Abhisit Vejjajiva. De violents affrontements se sont poursuivis toute la journée, faisant deux morts et 113 blessés.

Abhisit Vejjajiva a affirmé dans la soirée que les opérations de
l'armée pour rétablir l'ordre étaient "presque achevées", les
manifestants n'étant plus rassemblés qu'en un seul endroit de la
capitale.

Deux hommes de 19 et 54 ans ont été
tués par balles au cours d'une rixe entre manifestants et résidents
du voisinage, selon un ministre et des sources hospitalières. Au
total, les affrontements entre l'armée et les opposants ont fait au
moins 113 blessés, dont 23 militaires, selon les services de
secours et le gouvernement.

Les soldats à l'assaut

A la tombée de la nuit, les soldats, apparemment décidés à en
finir, ont fait mouvement dans la zone occupée depuis près de trois
semaines par les "chemises rouges" de l'opposition près de
Government House, le siège du gouvernement. Des tirs ont été
entendus alors que les militaires franchissaient les barrages
érigés par les manifestants, partisans de Thaksin, qui vit en exil.
Les "chemises rouges" campent autour de Government House depuis le
26 mars.



Le Premier ministre actuel, qui a décrété dimanche l'état
d'urgence dans la capitale, est apparu à la télévision pour les
inviter à quitter les lieux en leur garantissant le libre passage.
Les forces de l'ordre ont à leur tour établir des barrages dans le
quartier pour empêcher le retour des manifestants qu'ils ont réussi
à déloger. Un peu plus loin, les "chemises rouges" ont mis le feu à
des bus et à un bâtiment public. Une colonne d'épaisse fumée noire
s'élevait au-dessus du centre-ville.

Thaksin s'exprime

De son exil, l'ancien Premier
ministre Thaksin a fait état sur CNN de la mort de plusieurs
manifestants. "Beaucoup de gens meurent (...) Les corps sont
emmenés dans des camions", a-t-il affirmé. Les services médicaux
ont eux recensé au moins 101 blessés, dont quatre atteints par
balle. Vingt-quatre étaient toujours hospitalisés dans la
soirée.



Les heurts avaient commencé avant l'aube, quand l'armée avait
chargé en tirant en l'air plusieurs centaines de manifestants qui
bloquaient un carrefour stratégique de Bangkok, Din Daeng. La foule
avait riposté par des jets de cocktails Molotov. Les manifestants
ont attaqué dimanche le siège du ministère de l'Intérieur et la
voiture du Premier ministre.



La veille, ils avaient contraint les autorités à annuler un Sommet
de seize Etats d'Asie et d'Océanie à Pattaya, une cité balnéaire
située au sud de Bangkok, en envahissant le lieu de la réunion.
Plusieurs dirigeants avaient dû être évacués par hélicoptère.



Thaksin, qui est resté en contact téléphonique avec ses partisans,
a déclaré que le moment était idéal pour se soulever contre le
gouvernement. Il a réitéré ses appels à une "révolution du peuple",
ajoutant qu'il se tenait prêt à revenir en Thaïlande pour conduire
le peuple contre un éventuel coup d'Etat.

Spirale de violence

La Thaïlande a connu dix-huit coups d'Etat depuis 1932. Le pays
ne parvient pas à sortir d'une spirale de violence depuis plusieurs
mois, avec d'un côté les royalistes, l'armée et la bourgeoisie
urbaine, de l'autre une population rurale qui regrette Thaksin,
renversé par un pustch en 2006, et sa politique populiste.



A la fin de l'an dernier, les amis politiques de Thaksin étaient
au pouvoir. Mais les manifestations incessantes des "chemises
jaunes" royalistes, qui avaient occupé et bloqué les deux grands
aéroports de Bangkok, avaient conduit au renversement du
gouvernement. Pour les "chemises rouges", le premier ministre en
place Abhisit Vejjajiva n'est arrivé au pouvoir en décembre qu'à la
faveur de manoeuvres et de défections au Parlement, orchestrées par
l'armée.

Nombreux touristes sur place

De nombreux pays étrangers ont conseillé à leurs ressortissants
d'éviter Bangkok ou de rester dans leurs hôtels. Plusieurs milliers
de touristes suisses séjournent actuellement en Thaïlande. Le
Département fédéral des affaires étrangères a émis de nouvelles
recommandations à leur intention.



Le DFAE recommande ainsi aux touristes de se conformer aux
indications des autorités thaïlandaises et de rester en contact
avec les organisateurs de voyages. Ils doivent éviter les
rassemblements et les manifestations de toute nature.



Il est déconseillé de se rendre à Bangkok pour des voyages
touristiques ou autres qui ne présentent pas un caractère
d'urgence, précise encore le DFAE sur son site internet. Pour sa
part, l'assurance voyage Elvia indique que les lieux touristiques
ne sont pas considérés comme dangereux. Le trafic aérien se déroule
de manière normale.



afp/ats/ant/hof

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Les forces en présence dans la crise

La crise politique thaïlandaise dure depuis trois ans maintenant. Elle est l'oeuvre de factions qui se définissent toutes par rapport à l'ex-Premier ministre en exil Thaksin Shinawatra.

THAKSIN SHINAWATRA (59 ans): ex-magnat des télécoms, élu en 2001, réélu en 2005, cet autodidacte originaire du nord, est adulé par les pauvres mais exécré par les élites de Bangkok. L'armée l'a renversé en 2006. Il vit en exil pour échapper à une condamnation et diverses enquêtes anticorruption dans son pays.

ABHISIT VEJJAJIVA (44 ans): le premier ministre est arrivé au pouvoir en décembre à la faveur d'un renversement d'alliance parlementaire. Soutenu par l'armée, il dirige le Parti démocrate qui dominait la scène politique avant l'ascension de Thaksin. Il s'appuie pour gouverner sur une fragile coalition comprenant d'exlieutenants de Thaksin ayant fait défection.

CHEMISES ROUGES: les militants pro-Thaksin du "Front uni pour la démocratie et contre la dictature", à l'origine des manifestations antigouvernementales actuelles. Leur mouvement a été créé en 2008 pour contrer les "chemises jaunes" (militants royalistes hostiles à Thaksin). Ils exigent la démission de Abhisit - qu'ils accusent d'être un pantin à la solde de l'armée et de certains conseillers du roi et des élections anticipées. Leur base est composée des plus démunis, notamment de paysans.

CHEMISES JAUNES: les militants de "l'Alliance du peuple pour la démocratie" (PAD), fondée en 2005 pour s'opposer à Thaksin. Ce mouvement, qui se réclame du roi Bhumibol Adulyadej (81 ans), est soutenu par les élites de Bangkok. Les manifestations des "jaunes" avaient contribué à la chute de Thaksin en 2006. Mais, après 15 mois de gouvernement militaire, la PAD avait vu avec effroi des alliés de Thaksin revenir au pouvoir à la faveur d'élections. Ils ont entamé une campagne de manifestations, qui s'est traduite par le blocus pendant huit jours des aéroports de Bangkok, et s'est achevée avec le départ du pouvoir des alliés de Thaksin en décembre 2008.

CHEMISES BLEUES: obscure milice pro-gouvernementale liée au fils du président du Parlement, Newin Chidchob, ex-allié de Thaksin dont la défection en décembre a permis à Abhisit de former son gouvernement. Le mouvement est apparu en mars quand il a protégé l'aéroport de Bangkok contre une possible prise d'assaut par les "chemises rouges".

L'ARMEE: les militaires évoluent toujours en coulisse de la scène politique thaïlandaise, théâtre de 18 coups d'Etat depuis que le pays est devenu une monarchie constitutionnelle en 1932. Le ressentiment populaire contre l'armée a atteint son pic en 1992, lors de la répression sanglante de manifestations contre un gouvernement militaire. Après avoir renversé Thaksin en 2006, l'armée est restée au pouvoir pendant 15 mois et s'est "excusée" en partant. Depuis, jusqu'aux violents heurts de lundi, elle était restée passive face aux "chemises jaunes" en 2008.

LE ROI: immensément respecté par son peuple, le roi Bhumibol a vu défiler plus de 25 premiers ministres et 18 Constitutions depuis son accession au trône en 1946. Il évite généralement de se prononcer en temps de crise, sauf en 1992.