Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, soldats et blindés ont ouvert le feu sur des manifestants rassemblés sur la place Tiananmen, à Pékin. Cette répression sanglante a fait au moins mille morts et des dizaines de milliers de blessés. Aujourd'hui, l'image d'un inconnu seul, dressé face aux chars, a éclipsé les autres souvenirs.
Qui se rappelle encore de la forte mobilisation qui a précédé? De l'espoir qui animait des centaines de milliers de jeunes avides de réformes démocratiques?
Progrès économique
Au printemps 1989, treize ans après la mort de Mao, son successeur Deng Xiaoping récolte les premiers fruits de la politique réformiste qu'il a lui-même engagée dix ans plus tôt. De manière progressive, mais sans ambiguïté, le géant chinois décolle. Mais si les réformes économiques sont assumées, encouragées, il n'en va pas de même pour les réformes politiques.
A l'inverse des pays occidentaux où les évolutions vont de pair, la Chine rejette la démocratie nouvelle incarnée par les étudiants et intellectuels de la capitale. "Il y a une contradiction entre la réforme économique en cours et la reprise en
main politique qui apparaît", note le politologue et sinologue Jean-Philippe Béja. "Les gens demandent au pouvoir de reconnaître l'existence d'une société en dehors de lui".
Elément déclencheur
La mort d'Hu Yaobang, ex-secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) apprécié pour son ouverture, le 15 avril 1989, crée l'étincelle qui va faire partir un mouvement démocratique, initié par des étudiants. Ils réclament l'ouverture d'un dialogue avec les autorités et le respect des libertés fondamentales.
"L'éviction de Hu Yaobang deux ans plus tôt avait déjà mis fin aux espoirs de réforme politique. C'est leur désespoir qu'ils expriment en se rendant sur la place Tiananmen pour déposer des couronnes", note le spécialiste des mouvements démocratiques en Chine. Mais un éditorial publié le 26 avril par le Quotidien du peuple attise la flamme de la contestation.
Le texte accuse les manifestants de participer à un "complot planifié" pour renverser le PCC. Le lendemain, 100'000 personnes manifestent dans la rue à Pékin.
"Occupy" avant l'heure
Du 4 au 29 mai, bravant les interdictions du pouvoir, les étudiants envahissent la place Tiananmen. Certains campent, d'autres entament une grève de la faim. Ils reçoivent le soutien de centaines de milliers de Pékinois, de toute catégorie sociale, qui viennent eux aussi interpeller le pouvoir. Des rassemblements de solidarité s'organisent dans d'autres villes du pays.
Le 15 mai, en visite à Pékin, Mikhaïl Gorbatchev déclare que l'URSS a également ses "têtes brûlées" qui veulent changer le socialisme du jour au lendemain.
La ligne dure
A la tête de l'Etat, le PCC est divisé. Les tentatives de renouer le dialogue échouent et aboutissent à la mise à l'écart du secrétaire général du parti, le réformiste Zhao Ziyang. Le 20 mai, la loi martiale est instaurée par le Premier ministre Li Peng. L'armée intervient quelques jours plus tard. Pékin a choisi la ligne dure.
La politique du parti depuis 1989 est d'éviter un nouveau Tiananmen
Dans un premier temps, le régime impose même un retour au socialisme économique. Mais face à la chute du PIB, le gouvernement fait machine arrière et revient au capitalisme dès 1992. "Les intellectuels n'ont pas obtenu les réformes politiques qui auraient fermé la voie au conservatisme et à la corruption. Mais ils ont pu se lancer dans le business", observe Jean-Philippe Béja.
La Chine a ainsi pu se hisser au rang de seconde économie mondiale. Un rêve chinois qui ne s'est pas traduit par davantage de libéralisme politique. Au contraire. Depuis l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012, la moindre revendication sociale ou environnementale est réprimée. Les arrestations se multiplient. Le dilemme de Tiananmen n'est en quelques sortes pas résolu.
Article web: Juliette Galeazzi
Sujet TV: Marc Julmy