Depuis l'incendie de la cathédrale lundi dernier, près d'un milliard de francs de dons ont déjà été récoltés pour sa reconstruction. Et ce n'est pas fini: alors que le gouvernement français a lancé une souscription nationale, un grand concert de solidarité (lire encadré) va être diffusé samedi soir à la télévision française pour collecter encore davantage de dons.
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En fait, le cas de cette catastrophe patrimoniale peut être comparé à ce qui se passe lors de catastrophes naturelles, explique la sociologue Valérie Gorin dans l'émission Six heures - Neuf heures, le samedi.
"On peut tout à fait dresser un parallèle avec ce type de crises où il y a une sorte de fatalité. Il y a le côté accident, ça nous tombe dessus, on n'y peut rien, c'est la faute à pas de chance... Et là on a clairement un parallèle, à la fois sur le type d'événement et sur la manière de lever des dons", note cette spécialiste de la médiatisation des causes humanitaires lors de collectes.
Notre-Dame est un lieu associé pour beaucoup à un souvenir positif heureux.
Et force est de constater qu'il est plus facile de mobiliser pour un événement de ce type que pour des causes comme les conflits en Syrie ou au Yémen par exemple.
"C'est plus facile de lever des fonds pour Notre-Dame, un événement complètement inattendu, soudain, et qui remplit un certain nombre de critères permettant de créer le lien affectif avec les gens", explique la sociologue de l'Université de Genève. Car Notre-Dame est un lieu associé pour beaucoup à un souvenir positif heureux: de nombreuses personnes l'ont visitée lors d'un voyage à Paris.
Et c'est un événement spectaculaire, sensationnel, unique, souligne Valérie Gorin. "C'est très court, au contraire des conflits armés, très longs, très compliqués à expliquer et qui impliquent des responsabilités humaines entre différentes parties qui se font la guerre (...) L'incendie de Notre-Dame, lui, "crée un consensus parfait, à la fois sur l'affectif, le symbolique, et le caractère très spontané de l'événement."
L'une des règles de base de la générosité est de créer de la proximité.
La destruction partielle de la cathédrale de Paris a un caractère inédit à plusieurs titres - par la mobilisation, par les sommes déjà récoltées ou par la valeur et la célébrité de l'édifice.
"On peut comparer avec ce qui s'était passé en 2004 avec le tsunami qui avait ravagé le Sri Lanka, la Thaïlande et l'Indonésie, avec les montants des sommes qui avaient été impliquées", poursuit cette spécialiste. A cela près qu'en 2004, ce sont essentiellement les gouvernements et les particuliers qui se sont mobilisés alors qu'à Paris des fondations privées ont déjà annoncé des sommes spectaculaires.
Lors du tsunami, gouvernements et particuliers avaient donné parce qu'il s'agissait de régions avec lesquelles les gens avaient un lien symbolique et affectif, où beaucoup d'Européens se rendent en vacances. Et c'est là l'une des règles de base de la générosité: "Il faut créer de la proximité, qu'elle soit géographique, culturelle ou symbolique", analyse Valérie Gorin.
On a des causes qui ne vendent plus très bien parce qu'elles sont complexes.
Mais la polémique a surgi très rapidement face à l'élan de générosité exceptionnel autour de Notre-Dame et alors que de nombreux drames humains se jouent dans une plus grande indifférence. Pour la sociologue, il y a un débat "nécessaire sur le côté indécent de cette géométrie de la compassion."
Reste qu'il faut constater que certaines formes de misère ou de souffrance se banalisent, notamment parce qu'on les a trop vues. "C'est un phénomène que l'on connaît bien, qui s'appelle la fatigue de la compassion", dit-elle (...) "Le problème, c'est qu'on a des causes qui ne vendent plus très bien parce qu'elles sont complexes. La pauvreté, les sans-abri, la migration ou les clandestins sont des problèmes récurrents, il n'y a pas de point d'entrée dans ces histoires qui permettrait de personnaliser la cause et de l'incarner dans quelque chose qui tient au cœur des Français."
Au contraire, quand Notre-Dame prend feu, "on a un électrochoc qui permet de se concentrer sur un événement (...) Et c'est ce à quoi sont exposées toutes les ONG qui essaient de mobiliser régulièrement des fonds pour les famines ou pour la migration."
Propos recueillis par Yann Amedro/oang
La "télévision cérémonielle"
Le grand concert programmé samedi soir à 21h00 par France 2 au profit de la restauration de Notre-Dame de Paris sera diffusé depuis la cour des Invalides, avec la participation de dizaines d'artistes et de plusieurs formations musicales de Radio France.
Présentée par Stéphane Bern et Marie-Sophie Lacarrau, cette grande soirée mêlera chanson, variété, musique classique et appels aux dons en faveur de la reconstruction de la cathédrale.
"La télévision reste un média essentiel pour marquer ce type d'événement et surtout dans ces moments particuliers où on organise un événement unique, précis, qui va être retransmis partout", souligne Valérie Gorin.
"On appelle ça la télévision cérémonielle. Ce sont ces grands moments où l'ensemble du public s'arrête et allume son poste de télévision pour regarder un événement généralement retransmis en direct, à l'extérieur, dans une occasion assez solennelle (...) Et la télévision permet ce moment commun, cette mise en commun de la mobilisation, de l'empathie collective."