Le ministre arménien des Affaires étrangères Edouard Nalbandian
et son homologue turc Ahmet Davutoglu se sont ensuite longuement
serré la main avant de se congratuler chaudement avec les chefs des
délégations suisse, européenne, française, américaine et russe.
Le suspense a pourtant régné jusqu'au bout: la cérémonie à
l'Université de Zurich a été retardée de près de trois heures et
demie en raison d'une "difficulté de dernière minute" soulevée par
la délégation arménienne concernant le discours que devait
prononcer Ahmet Davutoglu, a indiqué à la presse un diplomate
turc.
Valse-hésitation
Finalement, pour régler le problème, il a été décidé qu'aucune
allocution ne serait prononcée, a-t-il expliqué. "L'atmosphère
aurait dû être positive, nous n'avons pas voulu cela", a déploré le
diplomate turc en soulignant que le choix était "de tuer le
processus ou de ne faire aucun discours".
Le litige a provoqué une véritable valse-hésitation durant
l'après-midi. Peu avant 17h00, l'heure prévue pour la cérémonie, la
voiture qui transportait la secrétaire d'Etat américaine Hillary
Clinton vers l'Université a fait brusquement demi-tour pour revenir
à l'hôtel où elle avait établi ses quartiers.
Des conciliabules intenses se sont alors engagés entre le ministre
arménien et le secrétaire d'Etat adjoint américain pour les
affaires européennes et eurasiennes Phil Gordon, qui communiquait
également par téléphone avec la délégation turque, ont indiqué des
sources américaines.
Médiation de la Suisse
Ces accords font partie de la "feuille de route" obtenue en
avril grâce à la médiation de la Suisse. Berne a accepté de jouer
un rôle de médiatrice depuis deux ans dans le processus de
normalisation des relations entre Ankara et Erevan, à la demande
des deux parties.
Les relations entre la Turquie et l'Arménie sont hantées depuis
près d'un siècle par le souvenir douloureux des massacres et des
déportations d'Arméniens en 1915-1917 (plus d'un million et demi de
morts, selon l'Arménie, 300'000 à 500'000 selon la Turquie qui
récuse l'idée de génocide).
Le conflit du Nagorny-Karabakh, au début des années 1990, a encore
aggravé la situation. Au terme d'une guerre de six ans (de 1988 à
1994), Erevan a pris le contrôle de cette enclave peuplée
d'Arméniens en Azerbaïdjan, allié de la Turquie qui a fermé sa
frontière avec l'Arménie en guise de représailles.
Fortes résistances
Le rapprochement entre la Turquie et l'Arménie se heurte à de
profondes résistances dans les populations des deux pays ainsi que
dans la diaspora arménienne, particulièrement influente en France
et aux Etats-Unis. Plusieurs milliers d'Arméniens sont encore
descendus dans la rue vendredi pour protester contre ces
accords.
Pour devenir effectifs, les protocoles prévoyant notamment
l'établissement de relations diplomatiques et la réouverture de la
frontière devront en effet être ratifiés par les deux parlements.
Cela pourrait traîner en longueur en raison de l'hostilité des
députés des deux pays.
Ankara et Erevan ont beaucoup à gagner d'une réconciliation. La
Turquie espère faire avancer ses négociations d'adhésion avec
l'Union européenne, tandis que l'Arménie, enclavée et sans
ressources pétrolières, sortira de l'isolement.
agences/dk
Nombreux parrains internationaux
La cérémonie est parrainée par la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, le ministre slovène des Affaires étrangères et président du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe Samuel Zbogar, ainsi que le chef de la diplomatie de l'Union européenne Javier Solana.
La Suisse a en effet eu besoin du renfort des Etats-Unis, des Européens et de la Russie pour mener à bien sa médiation. En avril dernier, le président américain Barack Obama s'était entretenu à Istanbul avec les ministres des Affaires étrangères turc et arménien, les appelant à trouver "rapidement" un accord.
Moscou, forte de son rôle géostratégique dans la région, a également soutenu activement le processus. Le président arménien Serge Sarkissian effectuera d'ailleurs une visite en Russie lundi, à l'invitation du président russe Dmitri Medvedev, a indiqué le Kremlin dans un bref communiqué.
Bruxelles salue "un pas vers la paix"
La Commission européenne s'est félicitée samedi des accords de La Commission européenne a salué la signature de cet accord, qu'elle considère comme "un pas courageux vers la paix et la stabilité dans le Sud Caucase" ainsi qu'"une décision historique démontrant la volonté mutuelle de compromis".
Le commissaire à l'Elargissement Olli Rehn a espéré que la Turquie et l'Arménie "montrent le même courage pour tenir les engagements qu'ils ont pris aujourd'hui. Cela sera un bon exemple pour toute la région". Bruxelles a appelé de ses voeux la ratification et la mise en oeuvre des accords "selon l'agenda prévu et sans condition supplémentaire".