La prestigieuse ENA se retrouve depuis une semaine sous pression. Le président Emmanuel Macron aurait envisagé de la supprimer, selon des fuites de son discours conclusif au Grand débat, qu’il prononcera jeudi. Lui-même en fut diplômé au début des années 2000.
Installée dans une ancienne prison de Strasbourg, cette école est devenue aux yeux de certains l’emblème d’une élite fermée sur elle-même, réservée à des copinages. Des critiques souvent entendues depuis quelques mois lors des manifestations des "gilets jaunes".
Volonté de démocratisation
A Strasbourg, les commentaires devant les médias sont rares ces derniers jours. L’ENA cristallise l’anti-élitisme français, confie un employé sous couvert de l’anonymat. "Je suis un grand garçon, je commence à chercher autre chose."
Créée en 1945 par Charles de Gaulle au lendemain de la guerre, elle a alors l’ambition de démocratiser l’accès à la haute fonction publique, sur concours. Pourtant une étiquette élitiste lui colle très vite à la peau. En 1991, elle déménage à Strasbourg pour se rapprocher de l’Europe et éviter toute critique de centralisation.
Réformer plutôt que supprimer
Ce qui fait de plus en plus réagir, c’est son rôle d’antichambre de la vie politique. Depuis les années 70, les "énarques" sont légions au pouvoir: tous les présidents, à l’exception de François Mitterrand, trop âgé pour avoir suivi l’école, et de Nicolas Sarkozy, ont connu ses bancs.
Ce caractère monochrome est contesté mais l’idée de supprimer l’ENA laisse perplexe, à l’heure où près de 12'000 élèves et auditeurs la fréquentent chaque année. Beaucoup, politiciens comme citoyens, selon un sondage, plaident plutôt pour une réforme. Pour l'ancien bras droit de Marine Le Pen, Florian Philippot, la suppression de l'institution revient à ne plus accepter "la méritocratie républicaine".
Un "camarade" du président témoigne
Député alsacien de droite, Olivier Becht (Agir) a fait ses classes avec Emmanuel Macron dans une promotion qualifiée de "rébellion" par l’administration, car très critique, notamment face au manque de contact avec le réel.
"A l’époque la scolarité ne servait pas à grand-chose, explique Olivier Becht. Le contenu des cours était à peu près identique à celui dispensé par Sciences Po pour préparer les épreuves du concours d’entrée à l’ENA, donc c’était extrêmement décevant. Je pense que dans la tête du président, le fait de dire "on supprime l’ENA" devait aussi contenter une partie des Français. Cela ne m’a pas vraiment surpris."
Jusqu’ici l’ENA est restée distante avec ces fuites. La RTS n'a pas pu rencontrer l'école. Le directeur de l'institution, Patrick Gérard, a choisi une tribune libre dans Le Figaro pour assurer que "ses élèves ne sont ni cooptés ni coupés des réalités".
Anne Fournier