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En Algérie, l’armée tire encore les ficelles

Géopolitis: Algérie, après Bouteflika [Reuters - Ramzi Boudina]
Algérie, après Bouteflika / Geopolitis / 26 min. / le 5 mai 2019
Après avoir obtenu le départ d'Abdelaziz Bouteflika, leur président depuis 20 ans, les Algériens réclament la fin du système. Mais la confrontation avec le pouvoir pourrait durer, prévient le journaliste et essayiste Akram Belkaïd dans Géopolitis.

"Abdelaziz Bouteflika a démissionné, des ministres ont quitté leurs postes et des patrons sont en prison. Pour autant, on ne peut pas dire que le système a changé, bien au contraire. Il est encore présent à travers les institutions, les organes de sécurité ou le commandement de l'armée", analyse Akram Belkaïd, qui vient de publier "L'Algérie en 100 questions - Un pays empêché".

Pour le journaliste du Monde diplomatique, "le danger est grand que ce que réclame le peuple ne soit pas obtenu rapidement" alors que l'élection présidentielle doit avoir lieu le 4 juillet prochain. "On est actuellement dans une confrontation entre un système qui veut faire le moins de concessions possibles et un peuple qui investit la rue de manière historique. Et il a bien l'intention d'aller jusqu'au bout".

"Opération de rafistolage"

Si Abdelkader Bensalah a été nommé président par intérim, c'est l'armée qui dicte le tempo en cette période de transition. A sa tête, Ahmed Gaïd Salah, âgé de 79 ans. Nommé vice-ministre de la Défense par Abdelaziz Bouteflika au début des années 2000 alors qu'il devait partir à la retraite, "il s'est aujourd'hui investi de la tâche de défendre la Constitution", explique Akram Belkaïd. "Les Algériens en sont bien conscients et l'accusent de freiner la transition".

L'armée a toujours eu cette idée d'être le garde-fou du pays.

Akram Belkaïd, journaliste et essayiste

Le journaliste, également chroniqueur régulier pour le Quotidien d'Oran, rappelle qu'historiquement, "l'armée a toujours eu cette idée de ne pas gérer le pays directement mais d'en être le garde-fou".

Comment interpréter les arrestations récentes d'hommes d'affaires qui gravitaient autour des cercles dirigeants? Pour Akram Belkaïd, les Algériens ne sont pas dupes: "On voudrait leur faire croire qu'il s'agit d'une opération mains propres, d'un assainissement du système. Livrer des têtes de cette manière à la population, cela ressemble plutôt à une opération de rafistolage".

La signature, arme suprême

Le régime algérien est souvent décrit comme une boîte noire opaque, avec à l'intérieur, plusieurs pôles de décisions. Si l'armée et les renseignements ont toujours tenu un rôle important, la présidence de la République a gagné en vigueur pendant le règne d'Abdelaziz Bouteflika.

L'ancien président Bouteflika a usé et abusé d'un pouvoir sans précédent.

Akram Belkaïd, journaliste et essayiste

"L'ancien président a usé et abusé d'un pouvoir sans précédent: celui de la signature. C'était son arme suprême pour mettre de côté ses opposants, renforcer son pouvoir, et finalement devenir incontournable", analyse Akram Belkaïd.

A la tête de l'Algérie durant 20 ans d'affilée, Abdelaziz Bouteflika "a bénéficié de circonstances exceptionnelles", estime l'essayiste. "En 1999, il a pris les rênes du pays après la période très difficile de guerre civile. Il a promis la paix et est parvenu à jouer avec les peurs des Algériens. Dans son cercle proche, tout le monde avait intérêt à ce qu'il reste. Il a donc pu modifier la Constitution pour embrayer sur un troisième, puis un quatrième mandat".

Kevin Gertsch

>> Lire: Akram Belkaïd, "L'Algérie en 100 questions - Un pays empêché", Editions Tallandier, 2019

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