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Guerre des taxes, Donald Trump veut freiner l'envol de la Chine

Géopolitis: Guerre commerciale [Reuters - Jonathan Ernst/Aly Song]
Guerre commerciale / Geopolitis / 25 min. / le 2 juin 2019
La guerre des taxes douanières est déclarée entre la Chine et les Etats-Unis. A un an de la présidentielle, Donald Trump veut à tout prix faire baisser le déficit commercial américain, explique le politologue Cédric Dupont dans Géopolitis.

Rendre à l'Amérique sa grandeur et enrayer le déclin industriel des Etats-Unis. Voilà le credo de Donald Trump depuis son arrivée à la Maison Blanche en 2016.

Pour y parvenir, le président américain s'est lancé dans une véritable guerre des taxes avec la Chine, premier partenaire économique des Etats-Unis.

Car au grand jeu du commerce mondial, les Etats-Unis sont aujourd'hui perdants: ils importent énormément de biens chinois (pour 540 milliards de dollars en 2018) mais exportent beaucoup moins vers la Chine (pour 120 milliards de dollars). Résultat, un énorme déficit commercial, dix fois plus important qu'il y a vingt ans.

Escalade continue

Le 8 mars 2018, Donald Trump serrait pour la première fois la vis en imposant des mesures commerciales sur les importations étrangères d'acier et d'aluminium.

En quelques mois, les Etats-Unis décident de taxer de plus en plus de produits chinois, comme des voitures, des disques durs ou des composants d'avions. La Chine riposte notamment sur les produits agricoles.

L'escalade n'en finit pas et depuis le 10 mai dernier, 200 milliards de dollars de biens chinois sont taxés à hauteur de 25%. Pékin impose en retour des droits de douane allant jusqu'à 25% sur 110 milliards d'importations en provenance des Etats-Unis.

Taxes ciblées

Pour Cédric Dupont, professeur à l'IHEID de Genève, "on a affaire à un vrai duel de gros muscles jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale". Le Japon avait certes été visé par des mesures commerciales ciblées dans les années 80, mais il avait rapidement été obligé de trouver un terrain d'entente avec les Américains.

Entre les Etats-Unis et la Chine, la donne est différente. Aucun des deux Etats ne semble prêt à faire des concessions.

Faire baisser le déficit commercial, c'est l'une de ses promesses électorales de Donald Trump. Il lui reste une année pour le faire.

Cédric Dupont, politologue

Donald Trump apparaît en position de force, boosté par une croissance florissante (3,2% au premier trimestre 2019) et un taux de chômage au plus bas depuis un demi-siècle. Déjà en campagne pour sa réélection en 2020, le président américain veut faire aboutir les négociations rapidement. "Faire baisser le déficit commercial, c'est l'une de ses promesses électorales. Il lui reste une année pour le faire. Plus les Chinois prennent du temps pour se mettre au diapason, plus il va en pâtir électoralement", analyse le politologue.

En face, la Chine doit composer avec une croissance qui s'essouffle à 6,6%, son plus bas niveau depuis trente ans. Mais en taxant les produits agricoles, Pékin frappe des Etats américains qui pourraient être décisifs dans la course à la Maison Blanche, explique Cédric Dupont. "Les Etats du Midwest comme l'Iowa ont voté Trump en 2016. Ils pourraient basculer dans l'autre camp à l'avenir parce qu'ils souffrent des mesures chinoises, particulièrement sur le soja".

L'inertie de l'OMC

Entrée dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine avait promis de réformes importantes. Pour Cédric Dupont, son modèle demeure toutefois basé sur un "capitalisme d'Etat qui s'entrechoque avec le capitalisme néo-libéral extrême des Etats-Unis". Reste que tous les pays ont profité de l'adhésion de la Chine à l'OMC: "On s'est basé sur elle pour produire moins cher et générer plus de marges. D'une certaine manière, tout le monde est un peu coupable de la situation actuelle".

D'autant que l'OMC ne possède pas un système de régulation suffisant pour faire plier la Chine, note Cédric Dupont: "Dans le jeu de la libéralisation, il y a des pratiques qui changent, il y a des innovations technologiques et un glissement du commerce des marchandises vers celui des services. Or, le système ne se met pas à jour aussi vite qu'il le devrait".

L'Europe sous pression

L'Europe pourrait être la grande victime de ce bras de fer. "Il ne faut pas oublier que Donald Trump a ouvert plusieurs fronts commerciaux. Certaines sanctions frappent déjà les Européens, notamment sur l'acier et l'aluminium", rappelle le politologue.

Donald Trump vise avant tout l'Allemagne. L'automobile est le symbole de la réussite germanique aux Etats-Unis.

Cédric Dupont, politologue

Mais c'est surtout le secteur automobile qui pourrait souffrir de la guerre engagée par le président américain face à ses concurrents: "Donald Trump vise avant tout l'Allemagne. L'automobile est le symbole de la réussite germanique aux Etats-Unis et si l'on compte les sous-traitants, ce secteur est le premier pourvoyeur d'emplois dans l'industrie européenne. De nouvelles sanctions feraient très mal".

Kevin Gertsch

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