C'est une école comme tant d'autres. Les filles portent des sacs Hello Kitty, les garçons des pulls Star Wars. Ils jouent au foot à la récré, elles regardent. Quand la sonnerie retentit, tous se mettent en rang par deux et rentrent en classe. Le ciel est bleu, le fond de l'air un peu frais. Dans cette école catholique de Vác, une ville paisible de 34'000 habitants au nord de Budapest, on se croirait presque en Valais, les montagnes en moins.
Des cours de religion sont dispensés aux enfants deux heures par semaine pendant toute la scolarité obligatoire. Comme dans le reste du pays. A la différence près
que, dans les établissements publics, les parents peuvent choisir entre enseignement catholique et instruction morale.
Kit pédagogique
Grand sourire aux lèvres, la pétillante directrice se réjouit: l'école bénéficiera bientôt d'une rénovation grâce aux 206 millions de forints (environ 713'000 francs suisses) qu'elle a obtenus de l'Etat.
Bienvenue dans la Hongrie de Viktor Orban. Depuis la rentrée 2018, les enseignants ont un kit pédagogique dont l'objectif est d'éveiller la conscience nationale, les valeurs culturelles chrétiennes et l'attachement à la patrie ainsi qu'à la famille. Dans un pays qui compte 10% de pratiquants, après des décennies de communisme et de neutralité religieuse de l'Etat, la mesure fait grincer des dents jusque dans certains cercles religieux.
Valeurs chrétiennes
"Je me réjouis du soutien de l'Etat, mais, avec cette politique, il instrumentalise la religion qui est davantage proposée comme une activité culturelle que comme une profession de foi", regrette Mgr Miklos Beer, dont le diocèse -réparti autour d'une imposante cathédrale- gère 32 établissements.
Le gouvernement se revendique des valeurs chrétiennes, mais cela ne veut pas dire qu'il applique à la lettre le message du Christ
A 75 ans, l'évêque de Vác a déjà émis plusieurs critiques sur la situation en Hongrie, dénonçant notamment l'aggravation des conditions de vie des Roms et, de façon plus sibylline, la politique migratoire de Viktor Orban. "Nous vivons une période historique et les élections européennes seront très importantes pour le futur. Le pape François appelle à sortir de sa zone de confort pour aller vers ceux qui sont dans le besoin", rappelle-t-il.
Tentatives d'intimidation
Aller vers ceux qui sont dans le besoin, c'est bien ce qu'essaie de faire le Comité Helsinki hongrois (CHH) chargé de s'assurer du respect des droits humains en Hongrie. Une mission de plus en plus ardue alors que menaces et tentatives d'intimidation se multiplient. "Tout est fait pour nous enlever notre crédibilité. Nous sommes dépeints comme l'ennemi du peuple", déplore András Kádár, directeur adjoint du CHH.
Les droits humains sont menacés en Hongrie pour les migrants, mais aussi lorsque le système nous empêche de faire notre travail
Un matin, des autocollants reprochant au collectif d'être une organisation de soutien aux migrants ornaient la porte du Comité, situé dans un appartement aux hauts plafonds, dans un bel hôtel particulier de Budapest. Or, depuis juin 2018, une loi rend passible d'un an de prison toute tentative d'assistance à des personnes en situation illégale.
Chasse aux sorcières
L'accusation reflète le climat tendu dans ce pays où la lutte contre l'immigration illégale a tout de la chasse aux sorcières. "On est dans une situation paradoxale parce qu'il n'y a presque pas d'immigration illégale en Hongrie", commente le défenseur des droits humains.
Ouvertement xénophobe et partisan de l'illibéralisme, un système reposant sur l'interventionnisme de l'Etat et le conservatisme sociétal, Viktor Orban a multiplié les manoeuvres ces dernières années pour museler tous les contre-pouvoirs, des ONG aux médias, en passant par ses adversaires politiques. Son modèle? Le président russe, Vladimir Poutine, pour lequel il ne cache pas son admiration. Quitte à devenir la bête noire de l'Union européenne.
Sur les affiches oranges omniprésentes dans les rues de Budapest, les slogans du Fidesz sont sans équivoque. Ils appellent à retirer la gestion des migrants des mains des "bureaucrates de Bruxelles".
De l'identité hongroise
"Une majorité des Hongrois soutient la politique de Viktor Orban. La gestion de la crise migratoire est l'une des grandes réussites de ce gouvernement, même si le problème n'existe plus vraiment", confirme la politologue Andrea Virág, chercheuse à l'Institut Republikon.
Avec un taux de chômage bas, à 3,5% début 2019, la Hongrie se porte bien. La manne européenne a rapporté 25 milliards d'euros au pays entre 2014 et 2020, et le gouvernement peut se permettre de sélectionner ses migrants, des étrangers venant de pays chrétiens ou issus des minorités hongroises hors du territoire national, pour pallier les besoin de l'économie.
En thématisant sur l'immigration, d'autres sujets ne sont pas abordés comme les lacunes de la politique sociale ou l'état du système de santé
Car, sans le dire explicitement, le gouvernement Orban se préoccupe de la menace démographique qui pèse sur la Hongrie comme sur la plupart des autres pays européens. En misant sur la religion, l'immigration choisie et des politiques familiales censées encourager les naissances, c'est une certaine définition de "l'hongritude" qu'il promeut. Avec succès. Malgré les dérives dénoncées et les risques que représentent cette politique, pour les étrangers mais aussi pour les femmes, le Fidesz est crédité de plus de 50% des intentions de vote aux élections européennes.
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Juliette Galeazzi, Stephen Mossaz et Tristan Dessert