Débats au coeur de l'Union alors que les Européens élisent leurs représentants
- Plus de 400 millions d'électeurs votent jusqu'à dimanche dans 28 pays pour élire 751 députés européens, un scrutin largement marqué par le Brexit et la montée attendue des eurosceptiques.
- La RTS est partie prendre le pouls de ce vote continental majeur dans l'une des villes symboles de la construction de l'UE, Bruxelles, avec des débats entre acteurs de la politique européenne, des reportages dans plusieurs villes du continent, ainsi qu'une interview de l'ancien dirigeant italien Matteo Renzi.
Les débats de La Matinale
"A 28, nous n'arriverons jamais à rien, car avoir une position commune est impossible"
Alors que les Européens ont commencé à se rendre aux urnes jeudi, parfois sans grande conviction, un sondage au niveau européen a montré en avril que 62% des interrogés estiment qu'être membre de l'Union est une bonne chose.
Mais selon le candidat de Debout la France Damien Lempereur, le parti souverainiste de Nicolas Dupont-Aignant, l'Europe des Vingt-Huit est une "supra structure" qui ne fonctionne pas. "Nous n'arriverons jamais à rien, car avoir une position commune est impossible, explique celui qui se définit comme euroréaliste. Nos identités et nos passifs sont trop différents. Si on autorisait les nations à travailler entre elles sur des projets à la carte nous pourrions aboutir à des positions communes. Il faut réintroduire de la souplesse et de la liberté pour peser dans la mondialisation."
Un avis et un projet que ne partagent pas les eurodéputés Charles Goerens et Maria Arena, aussi interrogés dans La Matinale, qui portent de leur côté le message "l'union fait la force." "L'Europe n'est pas la somme des intérêts particuliers défendus par les populistes, répond ainsi la socialiste belge Maria Arena. Aujourd'hui, le monde est fait de puissances: l'intérêt des Russes ou des Américains est d'avoir accès au marché européen sans avoir à faire face à l'Union."
Pour le libéral luxembourgeois Charles Goerens, une coalition entre le Parti populaire européen, le S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates), les Libéraux et les Verts est indispensable, aussi bien pour avancer dans le dossier écologique que sur le terrain social. "J'attends du prochain président de la Commission une annonce très claire de notre direction [...] Il faut aussi commencer par mettre de l'ordre dans l'UE. La Hongrie et la Pologne ne respectent plus l'Etat de droit."
Dessinateur de presse et éditorialiste, Nicolas Vadot observe de son côté que l'Union peut être perçue comme une machine parfois abstraite. "Les gens ne comprennent pas son fonctionnement, et parfois il faut tordre le coup aux mensonges. Et malgré des problèmes de management [...] il faut rappeler qu'on a la chance d'avoir une Union qui s'est créée de manière pacifique."
Matteo Renzi dans Tout un Monde
"Etre populiste, c'est facile si tu es dans l'opposition"
Il était la figure montante de la politique italienne, pressé de réformer son pays. Mais Matteo Renzi a trébuché fin 2016, lors du référendum constitutionnel, et il a dû quitter son poste de chef du gouvernement.
Près de trois ans plus tard, cet Européen convaincu revient au micro de Tout un Monde sur l'évolution de la politique continentale. L'ancien président du Conseil italien ne veut pas faire de pronostics, mais estime aussi que les élections européennes pourraient confirmer la montée des populistes. Mais Matteo Renzi est convaincu que ces mouvements montrent leurs limites une fois qu'ils gouvernent et il doute également de leurs capacités à s'unir au niveau européen.
"Je crois que le populisme sera plus fort que dans le passé, mais pas assez fort pour gouverner l'Europe", confie Matteo Renzi avant d'ajouter qu'il s'agit là d'un "défi très important pour tout le monde, parce que nous devons changer l'Europe, car les populistes vont détruire l'Europe. Il faut une Europe qui ne soit pas dans les mains des populistes, mais pas non plus dans celles des bureaucrates".
Matteo Renzi regrette aussi que les populistes se soient emparés du thème de l'identité nationale. Il souhaite en faire une valeur positive, une valeur forte en Europe. Les deux dimensions ne sont pas incompatibles, à ses yeux: "Je suis fier d'être Italien, d'être Florentin (...) mais en même temps je suis un citoyen du monde avec le passeport européen."
Pour l'ancien dirigeant, "être populiste, c'est facile si tu es dans l'opposition, c'est facile de dire non à tout le monde". Mais en tant que parti au pouvoir, les populistes doivent prendre des décisions et, après une année au gouvernement, de nombreuses promesses de campagne ont été trahies. Ainsi, pour Matteo Renzi, "dans les deux prochaines années, les populistes italiens seront détruits, pas par l'opposition, mais par la réalité", car il estime que leur façon d'agir est "stupide".
Les préoccupations des électeurs européens
A la rencontre de Polonais, Portugais, Suédois et Italiens
L'euroscepticisme gagne les Pays-Bas et, surtout, le Royaume-Uni. Et ailleurs? Les Polonais se disent favorables à l'Europe, à 80% même, selon les derniers sondages. Le patriotisme reste néanmoins très ancré en Pologne, actuellement gouverné par le PIS, parti populiste et opposé à l'Union.
De l'autre côté de l'Union, le Portugal, qui a vécu des années difficiles dans le sillage de la crise européenne. Faute d'opportunités, ils sont nombreux à avoir quitté leur patrie. Aujourd'hui, l'économie a repris des couleurs, et le gouvernement veut faire revenir les jeunes et les moins jeunes.
Longtemps méfiants à l'égard de l'UE, à laquelle ils ont adhéré en 1995, les Suédois sont aujourd'hui ceux qui apprécient le plus cette institution. Plus aucun parti ne demande d’ailleurs la sortie d’un système dont l’économie suédoise, très exportatrice, ne peut plus se passer.
En Italie, la bataille pour les Européennes tourne principalement autour d'un homme, le patron de la Ligue et ministre de l'Intérieur Matteo Salvini. Pour comprendre comment ses militants abordent ce scrutin, notre correspondant s'est rendu dans une réunion électorale du parti à Rome.
La RTS a rencontré des passionnés des institutions européennes en Suisse aussi, à Genève. A l'Université, 175 étudiants suivent un cours qui explore les fondements de l'intégration européenne et ses objectifs, ou l'essence même d'un système remis en question.
Premier Etat à se rendre aux urnes, les Pays-Bas ont déjà rendu un premier résultat surprise. Les travaillistes néerlandais ont déjoué les pronostics et devancé les libéraux et les populistes, dont les sondages et les analystes annonçaient la victoire.
Selon les premiers chiffres, le Parti travailliste de Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, recevrait 18,1% des suffrages et devrait remporter cinq des 26 sièges alloués aux Pays-Bas.
Le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) prendrait quatre sièges avec 15% des suffrages et le Forum de la démocratie (FvD) du populiste Thierry Baudet trois sièges avec 11% des suffrages, selon les premières estimations Ipsos pour la télévision publique NOS.
Sondages et analystes l'affirment, les partis contestataires et eurosceptiques vont faire un score canon lors de ces élections européennes.
Tous ensemble, ils devraient obtenir un tiers des sièges au Parlement. Reste à savoir si les eurosceptiques vont peser sur la politique européenne, une question qui dépendra de leur capacité à regrouper leurs forces. Marine Le Pen et Matteo Salvini doivent étendre leur alliance aux nationalistes britanniques, hongrois ou polonais, ce qui n'est pas gagné.
Autre certitude, ces élections vont déboucher sur une fragmentation. Pour l’instant, deux forces dominent le Parlement et la vie politique européenne: d'un côté, la grande famille de la droite, à savoir le parti populaire européen, et de l’autre, la famille sociale-démocrate. Les deux blocs vont assurément perdre des plumes et donc, cela semble acquis, n'auront plus la majorité à eux deux. La coalition va devoir s'élargir, aux centristes, aux libéraux, peut-être aux écologistes.
Qu'est-ce que l'Europe a fait pour vous?
Les grandes décisions du Parlement européen
Ces dernières années, Bruxelles a voté plusieurs réformes qui, pour certaines, touchent directement la population, par exemple en supprimant en juin 2017 les surcoûts liés au roaming, ces frais d'itinérance qu'il fallait payer à son opérateur téléphonique à chaque déplacement dans l'Union.
Plus récemment, le plastique à usage unique a été banni de l'Union d'ici 2021 avec des conséquences concrètes pour les consommateurs.
L'arrivée massive de migrants a par ailleurs conduit l'UE à renforcer considérablement l'agence Frontex, chargée de coordonner la protection de ses frontières extérieures: d'ici 2027, elle disposera de 10'000 garde-frontières et garde-côtes et pourra aussi acquérir ses propres navires ou avions.
Sur le plan du terrorisme, l'Union européenne a adopté en 2016 le registre européen des passagers aériens.
L'opération EuropExpress
Un voyage en images dans l'Europe des populistes
Trois journalistes de la rubrique internationale de la RTS TV ont voyagé en train à la rencontre des habitants de cinq capitales de pays où le national-populisme a fait parler de lui ces dernières années: l'Italie, l'Autriche, la Slovaquie, la Hongrie et la Pologne.
Plus de 400 millions d'électeurs votent d'ici dimanche dans 28 pays pour élire 751 députés européens lors de ces élections continentales.
Les bureaux de vote ont ouvert jeudi aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Vendredi, c'est au tour de l'Irlande et de la République tchèque de se prononcer, alors que les autres pays de l'Union voteront durant le week-end.
Les résultats des scrutins dans les deux pays ne seront annoncés officiellement qu'à partir de dimanche soir, lorsque tous les pays de l'UE auront fini de voter.
La question du Brexit a monopolisé les débats politiques durant la campagne. Faute de soutiens suffisants à son accord de divorce, la Première ministre Theresa May a repoussé la date de sortie au 31 octobre au plus tard et sa démission est attendue rapidement.
Crédits
Propos recueillis par Romaine Morard et Patrick Chaboudez
Sujets réalisés par Guillaume Meyer, Cédric Guigon, Céline Tzaud, Eric Jozsef, Alexandre Habay, Frédéric Faux et Antoine Mouteau.
Adaptation web: Alexia Nichele et Frédéric Boillat