"Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, seuls les Etats-Unis pouvaient protéger l'Europe occidentale contre la menace soviétique. La menace a aujourd'hui disparu, mais notre dépendance vis-à-vis des Américains demeure. On est comme des junkies face à la nicotine, au chocolat ou au crack. Il est difficile de s'en sortir", analyse Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.
Les Etats-Unis entretiennent le mythe d'une menace pour que les Européens ne cherchent aucunement l'autonomie. Cette situation fait de l'Europe l'un des plus gros clients de l'industrie d'armement américaine.
Le budget de la Défense russe équivaut à 60 milliards de dollars. Pour les pays européens de l'OTAN, c'est 240 milliards à eux seuls.
Mais l'Europe peut-elle se passer des Américains qui l'ont protégée si longtemps? Le politologue français, qui a publié "Requiem pour le monde occidental - Relever le défi Trump" en début d'année, en est convaincu: "Le budget de la Défense russe équivaut à 60 milliards de dollars. Pour les pays européens de l'OTAN, c'est 240 milliards à eux seuls."
Normaliser les relations avec la Russie
L'Europe doit se détacher des Etats-Unis et se rapprocher de la Russie, il faut entretenir avec elle des relations normalisées, estime le directeur de l'IRIS: "La Russie ne fait pas partie de l'Europe, nous n'avons pas le même système politique mais nous pouvons trouver des accords sur certains points, comme l'Ukraine, la Syrie ou la gestion de la crise au Mali qui voit d'ailleurs la Russie apporter son soutien à la France. Nous avons aujourd'hui moins de relations avec Poutine que nous en avions avec Brejnev à l'époque soviétique, c'est tout de même paradoxal!"
L'Union européenne est perçue à Moscou comme une ennemie à cause de son alignement sur l'agenda américain et les divisions européennes ne favorisent pas une normalisation. "Nous ne sommes pas unis sur cette question: les pays de l'Est qui ont rejoint l'Union européenne récemment ont toujours peur de la Russie pour des raisons historiques évidentes", précise le chercheur.
Une Europe trop naïve
L'Europe s'est montrée "trop naïve" pour évoluer d'égal à égal parmi les grandes puissances, juge Pascal Boniface. "On a pensé que le monde était devenu européen. Or, il n'est pas devenu européen et il ne partage pas nos valeurs. Il faut calculer un rapport de force, faire valoir nos intérêts par rapport à la Chine, à la Russie et aux Etats-Unis. On ne joue pas fair-play quand les autres ne jouent pas fair-play".
Le monde n'est pas devenu européen et il ne partage pas nos valeurs. Il faut faire valoir nos intérêts par rapport à la Chine, à la Russie et aux Etats-Unis.
Pour devenir un global player sur la scène internationale, l'Europe devra notamment rattraper son retard dans le domaine des nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle. "Ce sont la Chine et les Etats-Unis qui mènent le bal. Nous risquons un déclassement stratégique si nous ne mettons pas tout en oeuvre pour rattraper notre retard".
Kevin Gertsch, Marcel Mione
>> Lire: Pascal Boniface, "Requiem pour le monde occidental - Relever le défi Trump", Editions Eyrolles, 2019