1. Venise continue à faire rêver les touristes
Ils en ont marre, les Vénitiens! Samedi, des militants réclament une nouvelle l'interdiction des navires géants qui déversent des flots de touristes dans leur ville, la détruisent et la polluent à petit feu. Victime de son succès, la Cité des Doges figure en effet en bonne place dans les dépliants touristiques des tour-opérateurs. Elle est le 5e port touristique en Méditerranée. En 2019, Venise accueillera 502 paquebots de croisière, soit 1'560'579 passagers, selon les prévisions de Riposte Turismo. Ce chiffre suit la tendance de l'année précédente.
Or, l'accident survenu le 2 juin a ravivé la colère des riverains de cet écosystème fragile. Car si la catastrophe a été évitée, le dérapage du MSC Opera qui a embouti un quai ainsi qu'un petit bateau de tourisme, faisant deux blessés légers, a rappelé à tous l'urgence d'agir. D'une part, Venise souffre de surfréquentation. D'autre part, les navires qui y accostent polluent son air et accélèrent son enfoncement. Les vagues produites par ces géants flottants endommagent les fondations sous-marines de la ville, inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco.
Malgré ces signaux d'alerte, Venise, 53'976 habitants intra muros, accueille chaque jour 77'000 visiteurs, soit près de 30 millions de visiteurs par an. Trois quarts d'entre eux (57'500) sont des excursionnistes, qui viennent pour quelques heures, et repartent le soir. Environ 6% arrivent par bateau. Ce sont eux que les habitants ont dans le collimateur, eux dont les riverains estiment pouvoir se passer car ils rapportent peu et produisent d'immenses nuisances.
2. Les promesses politiques restent des "parole, parole, parole"
Cela fait depuis 2012 que les paquebots, les grandi navi comme on dit en italien, sont interdits dans la lagune. En théorie seulement, car le décret Clini-Passera, promulgué après le naufrage du Costa Concordia, prévoyait que le passage des navires de croisière reste autorisé le temps qu'une solution durable soit trouvée.
Face au statu quo, l'Unesco a à son tour mis un ultimatum à l'Italie, lui donnant six mois pour résoudre le problème. Conséquence,
le gouvernement a établi un plan de développement en novembre 2017, imposant aux navires d'emprunter un itinéraire différent, plus à l'ouest, vers le port industriel de Maghera
où un nouveau terminal passagers d'un coût estimé à 70 millions d'euros devait être construit.
Or, ce projet est difficilement réalisable puisqu'il implique de creuser un autre canal dans une zone très polluée de la très fragile lagune de Venise. Après l'accident du 2 juin, le maire de la ville, Luigi Brugnaro, de droite, a accusé le ministre des Transports Danilo Toninelli (Mouvement 5 étoiles) d'avoir fait obstruction à "son projet". Il a notamment indiqué sur Twitter que ce dernier avait "tout entre les mains depuis une année".
Elu par les milieux touristiques, le maire - qui jusqu'ici se préoccupait assez peu de bannir les bateaux de la ville au grand dam des militants - a aussitôt été soutenu par le ministre de l'Intérieur, très populaire en Italie, Matteo Salvini, et par le président de la Vénétie, Luca Zaia.
3. L'apport économique du port est considérable
Les bisbilles politiques cachent mal des enjeux économiques que chacun interprète comme bon lui semble. Si les habitants de Venise accablent les bateaux de croisière et estiment pouvoir s'en passer, ce n'est pas l'avis de tous. Selon une étude de l'Université Ca'Foscari, les croisières correspondraient à 3,26% du produit intérieur brut (PIB) et à 4,11% de l'emploi à Venise. Les postes de 4500 personnes dépendraient de ces activités, ce qui n'est pas anodin dans une ville frappée par le vieillissement de ses habitants et la dépopulation.
A cela, il faut ajouter la manne financière que représentent les bateaux. Ainsi les compagnies MSC ou Costa disposeraient de concessions pour accoster au coeur de Venise jusqu'en 2024 et, depuis l'introduction le 1er mai 2019 d'une taxe pour entrer dans la ville, les visiteurs quotidiens rapportent désormais jusqu'à 30 à 50 millions d'euros à la ville.
Bref, en plus d'illustrer les méfaits du tourisme de masse, Venise se retrouve malgré elle victime de bien des dysfonctionnements de l'Italie, entre avidité économique, inefficience et désintérêt politique pour la sauvegarde de l'environnement et du patrimoine. Et pendant ce temps, elle continue à sombrer.
Article web: Juliette Galeazzi
Reportage TV: Valérie Dupont
Des milliers de manifestants à Venise
5000 à 6000 personnes, selon les médias locaux, ont manifesté samedi à Venise pour demander l'interdiction du passage des grands navires dans la célèbre lagune. Le cortège a sillonné en fin d'après-midi les ruelles du centre historique de la Sérénissime derrière une banderole sur laquelle était écrit: "Fuori le navi dalla laguna" ("Les grands navires hors de la lagune").
Organisée à l'appel du Comité "No Grandi Navi" ("Non aux grands navires"), la manifestation est partie des "Zattere", des quais en bois situés en face de l'île de la Giudecca, non loin du lieu où le paquebot MSC Opera et ses 3000 personnes à bord, hors de contrôle, avait heurté dimanche un bateau de tourisme en voulant s'amarrer.
Des dizaines d'embarcations à rames ou à moteur ont également pris part à la manifestation sur les canaux vénitiens ou dans le bassin face à la célèbre place Saint-Marc.
afp/vic