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"Si je ne peux pas rentrer en Suisse, mettez-moi une balle dans la tête"

Temps Présent a pu rencontrer un djihadiste vaudois emprisonné depuis 2018 par les Kurdes. Il dénonce les mauvais traitements.
Temps Présent a pu rencontrer un djihadiste vaudois emprisonné depuis 2018 par les Kurdes. Il dénonce les mauvais traitements. / 19h30 / 1 min. / le 10 juin 2019
Au nord-est de la Syrie, une équipe de Temps Présent a pu s’entretenir avec un djihadiste vaudois détenu par les Kurdes depuis janvier 2018. Il dénonce les mauvais traitements dont il est l’objet.

L'émission Temps Présent a rencontré le Vaudois Adnan (nom d'emprunt) dans un lieu secret, où des soldats des forces kurdes (YPG) l'ont amené menotté et les yeux bandés. Adnan a accepté de répondre aux questions de Temps Présent lors d'un entretien qui a duré une heure.

"Ils m'ont torturé (...) je n'en peux plus"

Alors que Temps Présent lui faisait remarquer que l'entretien était également filmé par un représentant kurde, le Vaudois de 25 ans déclare: "Quand ils m'ont sorti de ma cellule, je me suis dit: 'si je rencontre des journalistes, je vais prendre le risque, je vais tout dire, je m'en fiche…' Ca fait maintenant 50 jours que je suis menotté, ils m'ont mis dans une pièce de 2 mètres de long et 1,5 mètre de large et ils m'ont torturé. Hier encore, ils m'ont frappé. Ils rentrent, ils frappent, ils sortent, ils frappent... Franchement, je n'en peux plus."

Pâle, visiblement à bout et très maigre pour sa taille (1m92), Adnan explique que depuis des semaines, il doit partager un unique repas avec son codétenu, une moitié d'assiette de riz par exemple, toutes les 24 heures. "J'ai énormément maigri. Je ne reconnais pas mon corps. Avant, je faisais 95 kilos, maintenant je dois faire moins de 75 kilos, mes cuisses font presque la taille de mon bras."

>> Regarder Anne-Frédérique Widmann expliquer dans le 19h30 le contexte dans lequel cete interview exclusive a été réalisée :

Temps Présent a pu rencontrer un djihadiste vaudois emprisonné depuis 2018 par les Kurdes. Il dénonce les mauvais traitements.
La journaliste Anne-Frédérique Widmann explique le contexte dans lequel s'est déroulé l'interview du djihadiste suisse. / 19h30 / 1 min. / le 10 juin 2019

Fin des visites du CICR après une mutinerie

Selon le Vaudois, les mauvais traitements ont redoublé suite aux troubles qui ont eu lieu dans sa prison. Comme l'ont rapporté les médias, le 5 avril, une mutinerie a démarré dans la prison de haute-sécurité de Derik, à l'extrême nord-est de la Syrie. Quelques 200 prisonniers, d'anciens combattants du groupe Etat islamique, dont des cadres français, ont attaqué des gardes et tenté de s'évader.

L'intervention massive des forces de sécurité kurdes, soutenue par la présence de deux avions de chasse américains, a fait échouer cette tentative d'évasion.

Depuis, Adnan dit n'avoir plus eu de visites du CICR. Par ailleurs, depuis juillet 2018, il n'a plus de nouvelles de ses parents domiciliés dans le canton de Vaud et depuis fin 2018, aucune de sa femme et de sa fille de deux ans, deux Suissesses détenues par les Kurdes dans le camp de Roj.

Adnan n'a pas d'avocat. Citoyen suisse, il a pourtant droit à la protection consulaire qui prévoit notamment le droit à "des conditions de détention humaines, au respect des droits de la défense et aux garanties de procédures".

"Je voulais quitter l'Etat islamique au bout de 3 jours"

Selon ses dires, Adnan a pris "une grosse claque" dès son arrivé en Syrie à l'été 2015. "Au bout de 3 jours, je voulais partir". Mais sa fuite se serait avérée impossible. "Ils te prennent ton passeport, je ne savais pas où passer et il fallait beaucoup d'argent." Fin 2017, lorsqu'il parvient à engager un passeur pour se rendre en Turquie avec sa femme et sa fille, ils sont "vendus aux Kurdes", explique-t-il.

Adnan et son épouse sont des Suisses d’origine bosniaque. Issu d'une famille non pratiquante, il dit s'être radicalisé sur les réseaux sociaux: "J'ai envie de me frapper la tête contre le mur: Pourquoi je me suis fait avoir comme ça? Comment j'ai fait pour croire ces gens et leurs vidéos? Comment j'ai fait pour croire que la vie était belle dans l'Etat islamique? Ce ne sont que des mensonges. Une fois que vous êtes là-bas, on n'est plus libre: si on ne pense pas comme eux, soit ils te tuent, soit ils te mettent en prison."

"J'ai fait une grosse erreur et je l'assume"

Adnan reconnaît avoir suivi un entraînement sommaire mais dit n'avoir jamais combattu, ce que nous n'avons pas pu vérifier. Une note militaire du groupe EI, en mains de services de renseignements occidentaux, confirmerait cependant qu'il a refusé de prendre les armes.

Pour passer entre les gouttes, il explique avoir changé de nom et s'être caché. "Daesh m'a accusé d'être un espion. Ils m'ont emprisonnée et fouetté. Ils ont exécuté sept Français, trois Britanniques et je crois un Allemand, tous accusés d'espionnage. Moi je suis passé juste, juste. Je désavoue Daesh, je n'ai pas leur idéologie et je suis opposé à tous ces groupes djihadistes. (...) Le problème c'est que maintenant, peu importe ce que je peux dire pour me défendre, on ne va pas me croire."

Lorsqu'on lui demande s'il plaide néanmoins coupable, Adnan le reconnaît: "Bien sûr, j'ai fait une grosse erreur. J'ai rejoint Daesh, un groupe terroriste. Je suis coupable, je l'assume et je dois payer pour ça. Je sais que je dois aller en prison. Si je rentre en Suisse et que j'ai 10 à 15 ans de prison, je paie, pas de problème. Mais je ne peux plus rester ici."

Une balle dans la tête pour que ça s'arrête

Lorsqu'on lui fait remarquer que la Suisse refuse de rapatrier les combattants djihadistes et qu'il s'est mis dans cette situation lui-même, Adnan répond: "C'est vrai que je me suis mis dans ce problème tout seul. Mais si je ne rentre pas en Suisse, franchement, je préfère qu'ils me mettent une balle dans la tête tout de suite pour que ça s'arrête, pour que je ne doive plus subir. Quand je serai de retour dans ma cellule, ils vont m'arracher, c'est sûr. Il faut que je me prépare à encaisser les coups."

Les forces kurdes ont repris la quasi-totalité des territoires contrôlés par le groupe EI avec le soutien de la coalition internationale. Les Kurdes, qui ont connu de grosses pertes humaines pendant les combats, doivent aujourd'hui gérer les quelques 6000 combattants étrangers du groupe Etat islamique qu'ils ont fait prisonniers alors que près de 80'000 femmes et enfants sont détenus dans les camps de Al-Hol et Roj.

Arguant qu'il en va de la sécurité de tous, les Kurdes demandent aux Etats de reprendre leurs ressortissants et réclament l'aide de la Communauté internationale. Mais jusqu'ici leur appel n'a pas été entendu.

>> Regarder le sujet du 19h30 de la RTS de lundi soir, consacré au sort des ressortissants étrangers emprisonnés en Irak :

Le sort des djihadistes a un prix. Bagdad réclame 2 millions par condamnation et 1 million pour la peine de mort.
Le sort des djihadistes a un prix. Bagdad réclame 2 millions par condamnation et 1 million pour la peine de mort. / 19h30 / 2 min. / le 10 juin 2019

Sujet TV: A-F.Widmann ; M-L.Baggiolini; E.Jagut; B. Lambert; H. Montavon

Adaptation web: Tristan Hertig

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Une douzaines d'adultes en lien avec la Suisse

La Suisse compte une douzaine d'adultes qui ont des liens avec la Suisse sur le territoire contrôlé par les Kurdes, mais refuse de les rapatrier.

Interviewé par Temps Présent, Abdul Karim Omar, à la tête de la Commission des affaires étrangères des autorités autonomes du Kurdistan (Rojava), a déclaré que "la Suisse a de la chance, car elle ne compte que peu de ressortissants chez nous. Elle n'a déposé aucune demande officielle pour reprendre ses ressortissants, enfants compris. Nous n'avons pas non plus reçu de requête du CICR pour reprendre des ressortissants suisses. Nous ne voulons pas donner ces ressortissants au CICR, nous devons les remettre aux autorités de leur pays".

Les autorités kurdes appellent à la constitution d'un tribunal international dans la région qu'ils contrôlent mais les Etats européens rechignent à cause de la pression de la Turquie, opposée à toute reconnaissance de l'autonomie kurde.

"Malheureusement, la Communauté Internationale et en particulier les pays européens ne veulent pas assumer leurs responsabilités à l'égard de leurs ressortissants, explique Abdul Karim Omar. Nous demandons à la Communauté Internationale de nous aider à créer un Tribunal International. Le mieux serait de rapatrier les mères et les enfants et de les réhabiliter. Si ces enfants ne sont pas rapatriés, ils vont grandir dans l'idéologie terroriste".