"Voulez-vous que je franchisse la ligne?" "J'en serais très honoré". Par ces mots, Donald Trump et Kim Jong-un ont accompli dimanche, à la frontière intercoréenne, un geste qui paraissait invraisemblable lors de la première année de la présidence Trump. Le 19 septembre 2017, il surnommait même son homologue nord-coréen "Rocketman" devant l'Assemblée générale de l'ONU.
Un lieu chargé de symboles: Donald Trump a effectué quelques pas dimanche en Corée du Nord en compagnie de Kim Jong-un, illustrant le rapprochement spectaculaire avec ce pays, même si le dossier nucléaire semble toujours dans l'impasse.
Le président américain a réussi son pari, le numéro un nord-coréen ayant accepté à la dernière minute son invitation impromptue à le rencontrer dans la Zone démilitarisée (DMZ), le "no man's land" qui sépare les deux Etats depuis la fin de la guerre de Corée (1950-53).
Donald Trump est devenu ce faisant le premier président américain en exercice à fouler le sol du régime stalinien. Accompagné de l'homme fort de Pyongyang, vêtu d'un costume Mao anthracite, le milliardaire américain a fait quelques pas en territoire nord-coréen, avant de poser à ses côtés pour les journalistes sur la ligne de démarcation.
"C'est un grand jour pour le monde", s'est-il félicité. De son côté, Kim Jong-un a espéré "surmonter les barrières" grâce à ses liens avec Donald Trump.
Symbole important
La rencontre ne suffira probablement pas à régler le délicat dossier nucléaire nord-coréen. Mais le symbole est important pour deux pays qui se menaçaient mutuellement d'annihilation il y a encore un an et demi.
Avant d'arriver samedi en Corée du Sud, il avait adressé via Twitter une invitation surprise à Kim Jong-un à venir lui dire "bonjour". Mais quelques heures à peine avant la visite de Donald Trump à la DMZ, on ignorait encore si Kim Jong-un se rendrait ou non au rendez-vous.
"Il en a très envie", avait assuré Donald Trump, précisant que le président sud-coréen Moon Jae-in l'accompagnerait quoi qu'il arrive à la frontière. "Ce sera très court mais ça ne fait rien. Une poignée de mains signifie beaucoup", avait estimé le milliardaire américain.
Le dirigeant nord-coréen a dit au président étasunien, devant la presse, que la rencontre était improvisée: "Certains disent que cette rencontre a été organisée à l'avance par les lettres que vous m'avez envoyées. Mais hier matin, moi aussi j'ai été surpris quand vous avez exprimé la volonté de me rencontrer ici". Ce à quoi Donald Trump a rétorqué à celui qu'il nomme "chairman Kim": "Connaissant la presse comme moi, s'il avait décidé de ne pas venir, tu m'aurais mis un coup (sic)".
La troisième entrevue
Il s'agit de la troisième entrevue entre les deux hommes depuis leur sommet historique de Singapour en juin 2018 et la rencontre ratée de Hanoï en février dernier.
Kim Jong-un lui-même avait traversé la frontière l'an dernier lors de son premier sommet sur la DMZ avec son homologue sud-coréen, Moon Jae-in. "Je serais très à l'aise de le faire, cela ne me poserait aucun problème", avait affirmé Donald Trump samedi. Dimanche, l'hôte de la Maison Blanche disait à propos de son improbable relation avec l'homme de Pyongyang: "Pour une raison ou une autre, nous avons une certaine alchimie".
A son arrivée dans la DMZ, Donald Trump a visité sous un ciel gris une plateforme depuis laquelle il est possible d'observer le territoire de la Corée du Nord – notamment un drapeau géant monté sur un mât de 160 mètres de haut: "Il y avait un grand conflit ici avant notre rencontre de Singapour", a remarqué le dirigeant américain en direction de la presse. "Depuis, le danger a disparu", s'est-il félicité.
"Pour les caméras"
De l'avis des experts, la rencontre ne devrait pas suffire à résoudre le délicat dossier de la dénucléarisation de la Corée du Nord, sur lequel achoppe le rapprochement avec Washington. L'administration Trump exige que Pyongyang renonce définitivement à son programme nucléaire avant d'envisager une levée des sanctions internationales, ce que le Nord refuse.
"Si cet événement s'était produit il y a plus d'un an, il aurait pu être considéré comme une percée psychologique", souligne le chercheur américain Joshua Pollack, du Middlebury Institute of International Studies – un institut qui s'intéresse aux causes, conséquences et contrôle de la propagation des armes nucléaires, chimiques et biologiques: "Mais maintenant? Une rencontre pour les caméras et sans ordre du jour ne fera rien pour effacer un an d'illusions et de déceptions", a-t-il estimé sur Twitter.
Pour relancer les négociations, il faudrait "autre chose qu'une lettre d'une page et une nouvelle poignée de mains", estime l'expert, en référence aux échanges épistolaires entre les deux présidents.
Reprise des discussions sur le nucléaire évoquées
Kim Jong-un a regagné à pied la Corée du Nord, raccompagné par Donald Trump et le président sud-coréen Moon Jae-in, au terme de cette rencontre historique dans la Zone démilitarisée entre les deux Corées.
S'adressant à la presse après le départ du dirigeant nord-coréen, Donald Trump a annoncé que des négociateurs des deux pays reprendraient les discussions à propos du programme nucléaire de Pyongyang. Mais il est resté évasif: "Ce qui va se passer, c'est qu'au cours des deux ou trois prochaines semaines, les équipes vont commencer à travailler pour voir si oui ou non elles peuvent faire quelque chose. Des choses très importantes. Plutôt compliqué, mais pas aussi compliqué qu'on le pense".
Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a précisé que de premiers "échanges d'idées" entre les deux parties auraient lieu probablement à la mi-juillet.
Donald Trump a quitté Séoul dimanche soir à bord d'Air Force One.
Stéphanie Jaquet et les agences
"Confiance sans précédent"
La décision "courageuse" du président américain Donald Trump et du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un de se rencontrer dimanche dans la zone démilitarisée a créé une "confiance sans précédent" entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, rapporte lundi l'agence officielle nord-coréenne KCNA.
Kim et Trump "ont convenu de rester en contact étroit à l'avenir" et de pousser en faveur de "discussions productives pour permettre une nouvelle avancée dans la dénucléarisation de la péninsule coréenne et dans les relations bilatérales", écrit encore KCNA.
De son côté, Donald Trump a déclaré dimanche qu'il avait invité Kim Jong-un à se rendre aux Etats-Unis, peu après avoir marché en sa compagnie sur le sol de la Corée du Nord, une première pour un président américain.
"Cela se fera un jour ou l'autre", a déclaré devant la presse Donald Trump, qui avait lancé avant l'entretien avec Kim Jong-un qu'il "l'inviterait bien à la Maison Blanche".
Presque tous les présidents américains sont allés sur la DMZ
A l'exception de George Bush père, tous les présidents américains ont effectué une visite chargée de symbole sur la DMZ.
Donald Trump aurait dû sacrifier à la tradition lors d'une première visite en Corée du Sud en 2017, mais le brouillard avait empêché son hélicoptère d'atterrir.