Naples, retour sur les lieux du crime

Au début des années 80 Jean-Jacques Busino vient passer quelques jours de vacances à Naples. Ces quelques jours deviennent des mois, puis des années. Il y restera près de 4 ans pour le meilleur et pour le pire.

Il retrouve à Naples Massimo un vieux copain d’enfance rencontré durant les vacances d’été. Celui-ci le transforme en napolitain mutique – afin de cacher sa maîtrise approximative de la langue italienne. Pour renforcer la crédibilité du groupe, Busino se paie une licence en droit et se fait passer pour "l’Avocato". Ce qui impressionne beaucoup dans le milieu des "affaires".

RTS - Lynne McGregor

Un peu par hasard, sans vraiment chercher, Busino et ses amis débusquent un appartement qui donne sur la Piazza Bellini au centre de Naples. On s’arrange vite fait entre un café et une cigarette avec le propriétaire de l’appartement délabré. En quelque sorte on officialise le squat pour quelques lires de plus.

Dans le quartier les bars se côtoient le conservatoire, des librairies spécialisées et des artistes de passage comme le napolitain Pino Daniele. Il y a tout ce qu’il faut pour faire la fête jusqu’au bout de la nuit en écoutant, par exemple, en boucle sur la terrasse de l’immeuble un bon vieux Neil Young.

Lynne McGregor

Busino se paye pour une poignée de lires une Alfa Romeo Spider rouge. Faut dire que le véhicule brinquebale plus qu’il ne roule. Il a 16 ans ou 17 ans, il ne possède pas de permis de conduire et il ne sait pas conduire.

Inutile de dire que les premiers jours de conduite sont chaotiques. Les rues étroites de Naples ne sont pas faites pour arranger les choses. Heureusement, les carrossiers napolitains ont de la ressource quand il s’agit de remplacer une portière défoncée par un angle de rue mal placé. C’est aussi à cette occasion que notre Grand Suisse découvre l’aspect décoratif des feux rouges.

RTS - Dominique Willemin

Jean-Jacques Busino a raconté près de 10 ans après son retour de Naples une histoire qui ressemble beaucoup à la sienne. Au rythme du polar Un café, une cigarette il décrit l’inconscience d’une petite bande d’adolescents qui va se frotter à plus fort qu’elle.

C’est une sorte de club des cinq en plus voyou qui arpente Naples entre 2 fêtes et 3 affaires qui devraient rapporter de quoi faire… la fête et d’autres affaires! Ils se prennent pour des héros de cinéma. Evidemment, ils se voient dans le rôle des bons. Quant aux méchants ils étaient loin d’imaginer qu’ils étaient aussi méchants. Cette face obscure le jeune Busino n’en avait pas conscience quand il a débarqué à Naples.

Lynne McGregor

Dans les années 80 son pote Massimo taille un costard sur mesure à Busino au sens propre comme au sens figuré. Le Gros de la bande croque des pâtes crues, le Rat fait les comptes et le bellâtre tombe les filles. 

Faut dire que le Suisse, comme on l’appelle dans le quartier, fait tache dans le paysage napolitain. Il mesure près de 2 mètres, il parle mal l’italien et ne comprend rien au dialecte napolitain. Alors on en fait un personnage mutique qui surprend et qui intrigue comme un héros de western à la Sergio Leone. Jean-Jacques Busino raconte 35 ans plus tard qui étaient les 4 amis de la petite bande.

Dominique Willemin

…à plein temps évidemment! Pour beaucoup ça commence même à l’âge de 6 ou 7 ans. Ça c’est pour ceux qui travaillent pour nourrir la famille. Il y a aussi les enfants sans famille qui courent les rues, squattent les caves, dépouillent les égarés et les naïfs et se débrouillent quand ce n’est pas la prostitution qui les embarque.

On parle des années 80, celles vécues et racontées par Jean-Jacques Busino dans son roman initiatique. Aujourd’hui on ne voit plus ces enfants traîner dans les rues de Naples.

Lors du retour à Naples en juin 2019, l’écrivain s’est fait tailler la barbe par un coiffeur qui a commencé à travailler à l’âge de 10 ans comme petite main dans les années 80. (cf. Bonus No 4)

RTS - Dominique Willemin

Au début des années 80, le jeune Jean-Jacques achetait des couteaux suisses histoire d’amorcer une tentative de drague auprès de la plantureuse patronne d’une coutellerie. En débarquant à Naples chez ses amis le Suisse avaient toujours dans sa poche 2 ou 3 couteaux suisses vite distribués autour de lui.

Quand il lui arrivait de retourner à Genève il remplissait sa valise de couteaux commandés par des proches. Face à la demande il a fallu passer directement par le distributeur et puis par l’usine. A ce moment Busino et ses amis passent dans une autre dimension. Mais ont-ils la carrure et surtout l’envie d’entrer dans la catégorie des commerçants professionnels? Pas sûr!

RTS - Dominique Willemin

Comme la demande en couteaux suisses traçait une courbe exponentielle il a fallu s’adresser directement à Wenger et Victorinox pour des commandes en très gros. La petite bande a même réussi à faire décrocher le wagon contenant les milliers de couteaux importés de Suisse avant le dédouanement moyennant quelques liasses de lires.

Ils répondent avec ce wagon à une très forte demande de couteaux suisses gravés aux couleurs du SSC Napoli de Maradona en train d’enflammer le monde du football européen. Mais leur dilettantisme les rattrape, ils sont dépassés par l’enjeu et oublient les règles fondamentales du marché. Ce qui leur vaut une leçon de commerce à coup de gros sel dans les fesses.

RTS - Dominique Willemin

A force de ne pas respecter les règles du jeu et d’ignorer la puissance de la Camorra, la petite bande a commencé à se retrouver dans le collimateur de concurrents autrement plus expérimentés. La maison où ils vivent avec une soixantaine d’enfants perdus est conçue comme une colonie de vacances, une colonie menacée par des "méchants".

Il faut donc acheter des armes pour se défendre en cas d’attaque. C’est ce que raconte Jean-Jacques Busino dans son polar. Dans le quartier, plutôt mal famé à l’époque, on trouve de tout même des armes. Problème: nos héros n’y connaissent rien et se font refiler le .44 de Clint Eastwood avec des balles de .38 !

RTS - Dominique Willemin

Cet épisode tragique n’est pas raconté dans le roman de Busino. Le jeune Tonino, l’enfant emblématique de l’histoire, qui a appris beaucoup de choses à l’auteur du livre Un café, une cigarette est battu à mort par un petit dealer chef d’une place. C’est là que l’histoire bascule. Cette fois la petite bande à Busino décide de rendre coup pour coup et de faire payer cash la mort de Tonino. Ils mettent au point un stratagème particulièrement tordu, un scénario d’une précision chirurgicale pour liquider le voyou.

Difficile d’imaginer une telle issue aujourd’hui. Même à Naples. Dans les années 80 la Camorra était toute puissante; ce dont Jean-Jacques Busino et ses amis n’avait pas vraiment conscience. C’est probablement pour ça qu’ils étaient prêts à tout et qu’ils ont tout perdu.

Ce qui est raconté dans Un café, une cigarette (1994), Robert Saviano l’a décrypté 10 ans après dans Gomorra et dans le polar Piranhas – en attendant le film - qui se déroule dans le quartier mal famé de Forcella. C’est là que l’épisode de la vengeance s’est déroulé.

Lynne McGregor

Dans les années 80, les années Busino, le SSC Napoli de Maradona flambe en Italie et en Europe. La petite bande a besoin d’argent et s’attaque au Toto Calcio géré par la Camorra. Il s’agit de sortir un coffre-fort d’une boutique dont les adolescents connaissent la faille. Une bonne séquence pour un polar avec des millions à la clé. Busino s’en sert dans son livre Un café une cigarette.

RTS - Dominique Willemin

Comment Jean-Jacques Busino et ses amis débusquent un appart pour trois fois rien au cœur de la ville de Naples? Tout est question de relation et de rencontre de hasard, tout se négocie et tout est possible. Il suffit de traîner dans le bon café et d’en boire assez pour rencontrer la bonne personne. Après une dizaine de cafés et autant de cigarettes, l’affaire est dans le sac.
Devinette: c’est quoi le salaire et l’appart gratis? Busino comprendra le principe bien plus tard.

RTS - Dominique Willemin

Ou comment descendre au centre-ville en 4e vitesse ni vu ni connu. Un jeu dangereux forcément qui ne se pratique plus aujourd’hui.

RTS - Dominique Willemin

Busino se fait tailler la barbe. Le patron coiffeur et barbier lui explique qu’il a commencé à travailler chez un barbier dans la ville de Naples à l’âge de 10 ans. A coups de taloches pour une poignée de lires c’est-à-dire pas grand-chose. Chose courante encore dans les années 80 lorsque Jean-Jacques Busino séjournait à Naples et se faisait raser en buvant un café.

RTS - Dominique Willemin

Où il est question de cafés bus en rafale, de dépouillement, de retournement de veste, de tirade en italien pour encourager les troupes ou de radio gonflée au mégaphone…

RTS - Dominique Willemin