"J'ai été très contente d'avoir eu l'occasion d'expliquer dans le détail la situation" dans laquelle le sauvetage a été réalisé le 12 juin, a déclaré la jeune femme soupçonnée par les procureurs d'aide à l'immigration clandestine, en sortant du palais de justice d'Agrigente (Sicile), dont dépend l'île de Lampedusa où le débarquement a eu lieu.
Après un peu moins de deux heures d'audition, elle a aussi exhorté l'Union européenne à mettre en place un mécanisme d'accueil et de répartition des migrants secourus en mer pour éviter de nouveaux blocages.
Arrestation jugée non justifiée
Carole Rackete, 31 ans, a été arrêtée le 29 juin pour avoir pénétré dans les eaux territoriales italiennes malgré le veto mis par le ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini (extrême droite) puis accosté de force pour faire débarquer 40 migrants secourus par le Sea-Watch 3 et bloqués à son bord pendant plus de deux semaines.
Trois jours plus tard, une juge a invalidé l'arrestation, estimant que l'accusation de violence envers un navire de guerre n'était pas constituée et que la jeune femme avait agi pour sauver des vies.
Recours du parquet
Le parquet d'Agrigente s'est pourvu en cassation cette semaine contre cette décision, dans l'espoir d'obtenir une jurisprudence établie. Quelques jours après le Sea-Watch 3, le voilier Alex a accosté sans y être autorisé à Lampedusa et cela risque de se reproduire.
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En attendant, le Sea-Watch 3 reste sous séquestre dans le port sicilien de Licata et Carola Rackete, libre de ses mouvements, est toujours visée par deux enquêtes, pour résistance à un officier en pénétrant de force dans les eaux italiennes et pour aide à l'immigration clandestine.
L'audition de jeudi devait essentiellement porter sur ce second point : pourquoi son équipage a-t-il secouru les migrants sans attendre les garde-côtes libyens et pourquoi a-t-elle fait route vers un port italien et non pas le port libyen proposé par les autorités de Tripoli, un port tunisien plus proche ou encore un port des Pays-Bas, dont son bateau arbore le pavillon ?
afp/cab
Des enquêtes systématiques contre les navires humanitaires
Depuis près de deux ans, les enquêtes sont quasi-systématiques pour les navires humanitaires faisant débarquer des migrants en Italie.
En mars 2017, le bateau espagnol Open Arms avait été placé sous séquestre et ses deux responsables poursuivis pour avoir refusé de remettre des migrants aux garde-côtes libyens arrivés sur les lieux pendant une opération de secours.
Un juge avait levé les séquestres au bout d'un mois, au motif que la Libye n'était pas un pays sûr pour les migrants. Et le parquet de Catane (Sicile) a récemment classé l'affaire sans suite pour les deux responsables.
Ce même parquet a aussi classé une enquête similaire contre l'ONG Sea-Watch après une opération de secours en janvier, concluant que les décisions de l'équipage étaient justifiées.
"Héroïne" ou "complice des passeurs"
L'arrestation de la jeune capitaine a provoqué un vaste mouvement de soutien, concrétisé par les plus de 1,4 million d'euros collectés en quelques jours via internet pour régler ses frais de justice et financer la poursuite des activités de l'ONG allemande, au besoin avec un nouveau bateau.
Parallèlement, le ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini (extrême droite) est encore allé plus loin dans sa dénonciation des ONG "complices des passeurs", s'en prenant personnellement à Carola Rackete, qu'il a qualifiée pendant des semaines d'"emmerdeuse", de "criminelle", etc.
La jeune femme a la semaine dernière porté plainte pour diffamation et incitation au délit, relevant que chaque message haineux du ministre italien sur les réseaux sociaux suscitait une floraison de commentaires encore plus sexistes, violents et menaçants.