Les détroits ont toujours été des carrefours d'échanges commerciaux, des centres névralgiques des tensions internationales. Au XXIe siècle, ils font l’objet d’une attention encore accentuée, comme en ce moment à Ormuz, où se joue une forme de confrontation entre l’Iran et les occidentaux, en particulier les Etats-Unis.
Détroits, d'une rive à l'autre
Episode 1
Gibraltar: un espace paradoxal
Dans le détroit de Gibraltar, Britanniques, Espagnols et Marocains se côtoient autour de ce qui est devenu un hub du transport maritime mondial… Dans une mosaïque de souverainetés. C’est un espace "paradoxal" : les intérêts des riverains doivent s’adapter aux intérêts des usagers. Et à l’entrée de la Méditerranée, le contraste est fort entre les frontières physiques qui filtrent les migrations humaines et tous les moyens mis en œuvre pour ouvrir et fluidifier le trafic international des porte-conteneurs.
Gibraltar s’est arrimé, sur chaque rive, aux grands flux maritimes circumterrestres depuis l’ère industrielle. Le détroit a bénéficié de l’ouverture du Canal de Suez en 1869, devenant le goulet majeur des routes maritimes en provenance de l’Asie.
Ensuite, le site a changé sous le coup d’une compagnie, depuis la fin des années quatre-vingt : l’armateur danois Maersk. Les Danois choisissent alors de faire du port d’Algésiras un pivot mondial. Un pivot dans la création de hubs, qui accueille et redistribuent les conteneurs. Puis en quelques années, en face, les Marocains construisent un hub concurrent à l'Espagne : Tanger Med.
Et le 28 juin dernier, le prince héritier du Maroc, Moulay El Hassan, a inauguré Tanger Med II : encore plus gros, une décennie pour construire, sur la rive marocaine, le premier port de Méditerranée. Il devancera, avec 20 % du trafic maritime global, les ports d’Algésiras et de Valence. Le sud de la Méditerranée a pris sa revanche sur l’Europe.
Episode 2
Malacca: la porte vers une Chine mondialisée
Le détroit de Malacca, qui sépare la Péninsule malaise et l’île indonésienne de Sumatra, est le point de passage le plus fréquenté de la planète par le transport maritime. C’est aussi un passage obligé pour l’économie chinoise. Mais Malacca est l’un des détroits les plus dangereux... à cause des pirates!
Autrefois passage obligé sur la route des épices, Malacca est aujourd’hui la porte d’entrée vers la Chine. Si, au Moyen-Orient, le détroit d’Ormuz voit passer un tiers du pétrole mondial, Malacca est LE point de rencontre de la mondialisation.
Et pour cause: en reliant le détroit de Singapour au sud, à la mer d’Andamane, vers l’Océan indien, Malacca est la première route du pétrole pour approvisionner les deux premiers consommateurs au monde, le Japon et la Chine.
Ce couloir maritime n’est large que de 45 kilomètres pour 700 kilomètres de long. Dans le sud-ouest de la Malaisie, au bord de la congestion, ce bras de mer voit passer un tiers du trafic mondial et 90 % de celui de la Chine. Pour se faire une idée, Malacca, c’est un bateau toutes les huit minutes. Un vrai goulot d’étranglement.
Depuis que l’homme navigue, le détroit a toujours été au cœur de l’Asie commerçante.
Episode 3
La liberté des mers
Si la géographie physique n’a pas – trop – bougé autour des détroits, ces points de passage ont en revanche considérablement changé de statut, de fonction et d’importance. Au XXIe siècle, la protection de l’environnement, l’augmentation massive du trafic maritime et les défis migratoires bouleversent la vie des détroits.
Comment ça marche, un détroit?
L'augmentation à une telle vitesse des flux commerciaux tout autour de la planète pose des défis techniques sans précédent. Comment faire passer des bateaux toujours plus nombreux, toujours plus gros et à un rythme toujours plus soutenu? Et cela dans des zones où la mer est étroite, peu profonde, et soumises à des courants qui rendent la tâche encore plus dangereuse?
Si ça fonctionne, c’est grâce à une coordination très précise et délicate du trafic maritime. Au détroit de Pas de Calais, depuis une quarantaine d'années, on a introduit un système qui a été exporté aux autres détroits dans le monde: la circulation alternée, dans un sens ou dans l'autre du passage.
Parfois, pourtant, on décide de les éviter pour leur préférer des routes plus longues et donc plus coûteuses en carburant, avec un cap plus difficile pour la navigation. Comme le Cap de Bonne Espérance au sud de l’Afrique.
Le droit international
Mais puisque tout le monde veut passer par les mêmes routes, les détroits doivent relever des défis techniques et sécuritaires,dans le cadre très particulier du droit international qui s'applique dans les détroits.
Aujourd’hui, deux nouveaux problèmes testent ce droit international: d'abord les flux migratoires d’une rive à l’autre du détroit ou qui passent dans les droits et qui ont considérablement changé. Ensuite la protection de l’environnement qui est aussi devenue une question prioritaire.
Le problème juridique, c’est de faire cohabiter la liberté de circuler, fondamentale dans le droit maritime, avec la nécessité de protéger l’écosystème d’un détroit.
Liberté des mers contre souveraineté sur la question environnementale. C'est aussi paradoxal que le contraste entre une libéralisation maximale des flux maritimes et une gestion très stricte des frontières physiques.
Les détroits concentrent beaucoup de problèmes épineux pour de si petits territoires.