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Consternation et colère face au suicide apparent de Jeffrey Epstein

Deux médecins légistes se dirigent vers le Manhattan Correctional Center de New York, où le corps sans vie de Jeffrey Epstein a été découvert dans sa cellule. [Keystone/ap photo - Bebeto Matthews]
Deux médecins légistes se dirigent vers le Manhattan Correctional Center de New York, où le corps sans vie de Jeffrey Epstein a été découvert dans sa cellule. - [Keystone/ap photo - Bebeto Matthews]
Le suicide dans sa cellule de prison new-yorkaise du financier et figure de la jet set américaine Jeffrey Epstein, accusé d'agressions sexuelles sur mineures, a causé la stupeur et l'incrédulité aux Etats-Unis et déclenché des enquêtes du FBI et du ministère de la Justice.

Vers 6h30 heure locale – midi et demi en Suisse – samedi, "Jeffrey Epstein a été retrouvé inanimé dans sa cellule", il s'agit "apparemment d'un suicide", a confirmé l'administration pénitentiaire après que le New York Times, notamment, eut annoncé qu'il s'était pendu au Metropolitan Correctional Center, la prison fédérale de Manhattan.

"Le personnel a immédiatement tenté de le ranimer", avant de le faire transporter à l'hôpital où sa mort a été prononcée, a-t-elle ajouté, annonçant l'ouverture d'une enquête du FBI.

Le ministre de la Justice William Barr s'est dit "effaré" par la mort en détention du financier de 66 ans, qui "pose de graves questions". Il a dit que l'inspection générale du ministère allait enquêter parallèlement au FBI.

>> Ecouter l'interview de Charles Poncet dans Forum :

L'intriguant suicide de Jeffrey Epstein: interview de Charles Poncet
L'intriguant suicide de Jeffrey Epstein: interview de Charles Poncet / Forum / 6 min. / le 11 août 2019

Pas de surveillance antisuicide

Le 23 juillet, Epstein avait déjà été retrouvé allongé sur le sol de sa cellule, blessé, avec des marques sur le cou.

Certains sources avaient alors assuré qu'il avait tenté de se suicider, mais ses blessures étaient sans gravité et il s'était présenté peu après à une audience.

Il avait ensuite fait l'objet d'une surveillance particulière antisuicide, mais celle-ci s'était arrêtée le 29 juillet, selon le New York Times. Il était depuis simplement placé dans une unité de la prison à sécurité renforcée.

Suspicion

Si certains sur les réseaux sociaux n'hésitaient pas à s'interroger sur le fait de savoir à qui profiterait sa mort, beaucoup exprimaient simplement leur stupéfaction devant un tel dénouement, la prison fédérale de Manhattan étant considérée comme l'une des plus sûres des Etats-Unis.

Le cinéaste américain Michael Moore a rapidement réagi en écrivant sur les réseaux sociaux: "J'imagine qu'un pays suffisamment idiot pour élire Trump est assez stupide pour croire que Jeffrey Epstein s'est suicidé. Ou pas. J'aime qu'ils l'aient fait au traditionnel moment du vendredi soir/samedi matin, alors que des tonnes de documents ont été dévoilés, quand ils savaient que le moins de personnes possibles allaient suivre tout ça".

"Il nous faut des réponses. Beaucoup de réponses", a réagi sur Twitter l'influente élue démocrate new-yorkaise du Congrès Alexandria Ocasio-Cortez.

Un réseau de jeunes filles exploitées

Jeffrey Epstein avait été arrêté le 6 juillet à son retour d'un voyage en France et inculpé à New York pour avoir organisé, de 2002 à 2005 au moins, un réseau constitué de dizaines de jeunes  filles, certaines ayant été des collégiennes, sous son emprise. Il avait avec elles des rapports sexuels dans ses nombreuses propriétés, notamment à Manhattan et en Floride.

>> Lire : Le milliardaire Jeffrey Epstein inculpé pour exploitation sexuelle

Les témoignages qui sont ressortis via des documents judiciaires brossaient de ce brillant et riche homme d'affaires, un ex-professeur de mathématiques, l'image d'un prédateur insatiable de jeunes filles, qu'il faisait recruter par dizaines et aller dans ses somptueuses résidences.

Selon plusieurs témoignages, employées et recruteuses géraient au millimètre un sombre emploi du temps, avec prise de rendez-vous, transport, parfois même en jet privé, instructions et rétribution, souvent 200 à 300 dollars par visite, voire cadeaux.

Démission du ministre du Travail Alexander Acosta

Jeffrey Epstein, photographié le 29 mars 2017 pour le registre des délinquants sexuels de l'État de New York. [Keystone/ap - New York State Sex Offender Registry]
Jeffrey Epstein, photographié le 29 mars 2017 pour le registre des délinquants sexuels de l'État de New York. [Keystone/ap - New York State Sex Offender Registry]

Le journal Miami Herald a relancé l'enquête sur le millionnaire fin 2018: il a révélé qu'en 2008 Alexander Acosta, alors procureur général du District sud de la Floride, avait négocié un "sweetheart plea deal" (en français, un accord judiciaire très favorable) avec Jeffrey Epstein: ce dernier s'était vu infliger une peine minime de seulement 13 mois pour avoir conduit des jeunes filles à se prostituer dans cet Etat américain du sud-est. Le nom du milliardaire avait aussi été inscrit au fichier des délinquants sexuels.

>> Lire : Dans la tourmente, le ministre américain du Travail démissionne

En juillet, une perquisition dans la maison de Jeffrey Epstein dans le quartier huppé de l'Upper East Side à Manhattan avait permis de mettre au jour une salle de massage où il aurait entraîné ses victimes présumées. Après son inculpation à New York, Alexander Acosta, devenu ministre du Travail de l'administration Trump, avait dû démissionner. Donald Trump veut nommer à sa place Eugene Scalia, fils d'un juge de la Cour Suprême, décédé en 2016.

L'ami de nombreuses personnalités

Des centaines de pages de documents judiciaires rendus publics vendredi avaient permis de confirmer que Jeffrey Epstein avait longtemps été une figure incontournable des soirées mondaines new-yorkaises, proche de nombreuses personnalités, considérées comme l'élite, comme l'a expliqué en détail le New York Magazine en juillet.

"Je connais Jeff depuis 15 ans. Un type génial", disait ainsi Donald Trump, alors lui-même membre éminent de la jet set, dans un entretien en 2002. "On dit même qu'il aime les jolies femmes autant que moi, et beaucoup sont plutôt jeunes". Des images ont refait surface où l'on voit les deux hommes d'affaires à une soirée en 1992 à Palm Beach.

Le prince Andrew, fils de la reine Elisabeth, faisait partie des amis de Jeffrey Epstein: ses coordonnées ont été retrouvées dans le "Little Black Book" (en français, le "petit livre noir") du financier, publié en 2015 déjà par le site Gawker. Il aurait aussi eu des relations sexuelles avec la jeune Virginia Giuffre Roberts, celle qui se décrit comme l'une des "esclaves sexuelles" mineures de Jeffrey Epstein.

>> Lire : Une affaire d'esclavage sexuel embarrasse la famille royale britannique

Samedi, le président républicain a retweeté un message complotiste alléguant, sans preuve, que l'ex-président démocrate Bill Clinton, autre ami d'Epstein, pourrait être lié à sa mort:

L'ancien président a souvent volé avec le millionnaire dans son jet privé, surnommé le "Lolita Express" – avec lequel il se rendait en Floride ou sur son île privée dans les Iles Vierges.

Ses anciens amis influents avaient affirmé après son inculpation ne pas avoir été au courant de ses délits présumés et avoir coupé tout lien avec lui.

Passible de 45 ans d'emprisonnement

Inculpé le 8 juillet d'exploitation sexuelle de mineures et d'association de malfaiteurs en vue d'exploiter sexuellement des mineures, il était passible de 45 ans d'emprisonnement.

Son procès devait s'ouvrir au plus tôt en juin 2020. Il s'était vu refuser une remise en liberté sous caution, les procureurs estimant qu'il risquait fort de fuir à l'étranger, vu sa fortune – évaluée à plus de 500 millions de dollars – et ses connexions.

Pour les victimes présumées, sa mort les prive d'un procès qu'elles attendaient avec impatience, même si le procureur fédéral de Manhattan a promis de poursuivre l'enquête sur ses agissements et ses éventuels complices.

"Nous ne pourrons jamais tourner la page", a lâché une des victimes, dans un message rediffusé par son avocate Lisa Bloom. "Vous nous avez volé ce grand morceau de guérison dont nous avions besoin pour passer à autre chose".

"Ce n'est pas la fin que quiconque attendait", a déclaré Brad Edwards, un avocat d'une autre victime présumée.

Stéphanie Jaquet et l'afp

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