Publié

En France, un hommage aux soldats africains qui "arrive un peu tard"

Photo d'archive du 31 août 1944 montrant des soldats algériens entrer dans la ville de Marseille, en France, quelques jours après le débarquement de Provence. [AFP]
Le photographe et réalisateur Julien Masson raconte sa rencontre avec les tirailleurs Sénégalais qui se sont battus pour la France durant la Deuxième Guerre mondiale. Il réagit aux commémorations du 75e anniversaire du débarquement de Provence. / Le Journal horaire / 2 min. / le 15 août 2019
Alors que la France commémorait jeudi le 75ème anniversaire du débarquement de Provence, le président a évoqué la mémoire des soldats africains. Un hommage un peu tardif, estime Julien Masson, qui a recueilli le témoignage des derniers tirailleurs sénégalais.

Le 15 août 1944, deux mois après le célèbre débarquement de Normandie, des troupes françaises et alliées prennent d’assaut Toulon et Marseille pour libérer le sud du pays. La moitié des bataillons français proviennent d'Afrique.

Tirailleurs sénégalais et algériens, goumiers et tabors marocains et pieds-noirs, jouent un rôle crucial dans la victoire. Pendant toute la Seconde Guerre Mondiale, 55'000 d'entre eux meurent au combat.

Malgré leur rôle majeur, ces combattants sont moins bien traités que leurs frères d'armes, pendant et après la guerre. "Il y avait une disparité de traitement entre les soldats blancs et les soldats noirs, qui avaient entre autres une solde différente", explique à la RTS le photographe et réalisateur Julien Masson, qui a recueilli dans un livre et un film les témoignages des derniers tirailleurs sénégalais.

Il y avait une différence de traitement entre les soldats blancs et les soldats noirs, pendant et après la guerre.

Julien Masson, photographe ayant recueilli le témoignage de tirailleurs sénégalais.

Parmi les nombreuses injustices, "il y a eu le blanchiment des troupes durant le débarquement de Provence, à savoir que les soldats noirs ont été retirés et remplacés par des blancs, alors qu'ils avaient fait le plus dur du travail, explique le réalisateur. Plus tard, lorsque certains tirailleurs sénégalais rentrent au pays et réclament leur solde, ils sont encerclés dans le camp de Thiaroye et plus de 70 d'entre eux sont fusillés."

En 1959, au moment de la décolonisation, l'Etat français gèle le montant de leurs pensions militaires. Il faudra attendre 2002 pour que celles-ci soient partiellement débloquées, en restant inférieure à celles des combattants français. Il faudra encore huit ans pour que les deux soient alignées.

Pourtant, les 13 tirailleurs que Julien Masson rencontre entre 2014 et 2018, et dont le dernier est décédé cette année, étaient "tous très fiers d'avoir combattu le nazisme et libéré la France, et des liens qu'ils avaient pu créer avec les Français. Mais ils avaient tous gardé une amertume due au manque de reconnaissance de l'administration française".

Un soldat algérien surveille des prisonniers allemands dans la ville de Marseille, le 28 août 1944. [AFP - STRINGER]
Un soldat algérien surveille des prisonniers allemands dans la ville de Marseille, le 28 août 1944. [AFP - STRINGER]

Un hommage qui arrive tard

Jeudi, aux côtés de ses homologues guinéen et ivoirien, le président français Emmanuel Macron a rendu hommage aux combattants africains qui "n'ont pas eu la gloire et l'estime que leur bravoure justifiait". Il a appelé les maires du pays à honorer ces héros en baptisant des rues et places à leur nom.

"Un hommage qui tombe un peu tard", estime Julien Masson. "Aujourd'hui, ils sont quasiment tous morts. Et la reconnaissance des politiques tombe toujours à rebours, pour répondre à une pression de l'opinion publique ou des personnes engagées."

Le mois dernier, une tribune dans le journal "Le Monde" rassemblant des personnalités estimait que les commémorations prévues n'étaient pas à la hauteur de l’enjeu mémoriel. Ce à quoi l'Elysée a réagi en repensant l'évènement.

>> Ecouter le déroulé des commémorations dans le 12h30 :

Emmanuel Macron célèbre les 75ème anniversaire du débarquement allié en Provence. [Reuters - Eric Gaillard]Reuters - Eric Gaillard
Emmanuel Macron célèbre le 75e anniversaire du débarquement allié en Provence / Le 12h30 / 1 min. / le 15 août 2019

"Il est important de regarder les actes plutôt que les discours politiques qui tombent au bon moment", juge Julien Masson. "Les choses vont dans le bon sens, mais c'est surtout grâce à des historiens et à des associations qui se battent pour réhabiliter cette mémoire."

Un travail important à poursuivre "pour que la France dans toute sa diversité puisse se reconnaître, avancer et construire ensemble", conclut le photographe.

Mouna Hussain avec AFP

Publié

Le méconnu débarquement de Provence

Le 15 août 1944, dix semaines après le débarquement allié du 6 juin en Normandie, une deuxième offensive est lancée sur la côte méditerranéenne de la France.

Après avoir trompé l'ennemi en mettant le cap sur Gênes, en Italie, plus de 2'000 navires et 450'000 hommes se lancent à l'assaut des défenses ennemies établies en Provence, sur les côtes sud de la France. Alors que très peu de Français avaient participé au débarquement normand, ils sont cette fois-ci 250'000, venus majoritairement de l'armée d'Afrique.

Les choses vont très vite: dès le 17 août, Hitler ordonne le retrait des troupes allemandes du midi de la France, sauf à Toulon et Marseille, mais, dès les 27 et 28 août, ces ports stratégiques sont libérés. Et les soldats débarqués en Provence feront, dès le 12 septembre, la jonction avec les forces venues des côtes de Normandie.

Ironie du sort: c'est peut-être ce succès qui a fait qu'aujourd'hui, le débarquement de Provence est le grand oublié de l'Histoire. "Beaucoup de Français ne le connaissent pas. La publicité donnée au débarquement de Normandie est énorme car il y a tout le soft-power américain derrière, avec des films qui ont fait le tour du monde. Le débarquement de Provence s'est aussi peut-être trop bien passé. Il était très bien préparé et l'armée allemande a offert une moindre résistance", souligne Florimond Calendini, directeur du Mémorial du débarquement et de la libération de Provence à Toulon.