"Nous avons le sentiment qu'ils souhaitent peu à peu fermer toutes les églises du pays", indique Salah Chalah, président de l'Eglise protestante d'Algérie (EPA) qui regroupe 46 communautés. "La question qui circule sur toutes les lèvres est de savoir laquelle va prochainement être dans le viseur des autorités", lui fait écho l'un des chrétiens de Kabylie, cette région située au nord et à l'est d'Alger et où se trouvent les deux églises récemment mises sous scellés ou sur le point de l'être.
Une dizaine d'églises dites "de maison" ont également été interdites dans l'ouest du pays. L'EPA dénonce depuis décembre 2007 une intimidation de l'Etat, dont la constitution garantit pourtant la liberté de culte. Pour sa part, le gouvernement invoque le manque de normes de sécurité comme des issues de secours dans les bâtiments, par exemple, ou des questions administratives: chaque église devrait en effet être au bénéfice d'une autorisation délivrée par la Commission nationale des cultes pour les non-musulmans, selon une ordonnance de 2006. Mais les autorités n'en auraient à ce jour émis aucune. "On ne sait pas comment l'obtenir dans les faits", commente Salah Chalah.
Contexte contestataire
Ces fermetures d'églises interviennent dans le climat de contestation qui secoue le pays depuis février dernier. Les citoyens continuent de se mobiliser dans la rue tous les vendredis "et y vivent une vraie fraternité entre Algériens", estime Karima Dirèche, historienne franco-algérienne, directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Fermer des églises dans ce contexte est une façon pour l'Etat de détourner l'attention des manifestants qui veulent plus de démocratie et d'essayer de la faire se porter sur des Algériens "qui ne seraient pas comme les autres", estime-t-elle.
Le gouvernement réactive aussi le spectre de la Kabylie sécessionniste, où plusieurs de ces églises foisonnent et où plusieurs musulmans se convertissent au christianisme. Les églises protestantes, évangéliques pour la plupart, remettent en fait en cause le monolithisme confessionnel qui règne dans le pays, officiellement musulman à plus de 95%. Les autorités, qui n'ont pas l'habitude de la pluralité religieuse, y voient une différence menaçante, analyse Karima Dirèche.
Célébrations en plein air
En attendant, les chrétiens qui se retrouvent privés de lieu de culte ont pris l'habitude de se réunir et de tenir leur célébration à l'extérieur, devant le bâtiment fermé de leur église respective. Une façon de résister pacifiquement. "On estime être dans nos droits", déclare le président de l'EPA. Cette visibilité affirmée n'est toutefois certainement pas du goût du gouvernement, qui souhaite plutôt montrer actuellement sa capacité à mettre de l'ordre… et à mettre au pas des églises invitées à exister sans se faire remarquer.
Gabrielle Desarzens/ebz