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Le rôle de la diplomatie suisse en Iran vu par deux ex-otages américains

Jason Rezaian dans les bureaux du Washington Post. [RTS - Raphaël Grand]
Le rôle de la diplomatie suisse en Iran à travers le regard d'anciens otages américains / Tout un monde / 8 min. / le 9 septembre 2019
La Suisse représente les intérêts américains à Téhéran depuis 1980, et joue parfois un rôle diplomatique de premier plan. Elle facilite notamment l'échange de prisonniers. La RTS a recueilli les témoignages de deux anciens otages américains en Iran.

Les relations entre les Etats-Unis et l'Iran se sont encore durcies ces derniers mois. Drones abattus dans le détroit d'Ormuz, pétroliers attaqués… Et Washington qui impose régulièrement de nouvelles sanctions, après s’être retiré unilatéralement de l'accord sur le nucléaire iranien.

Dans ce contexte, la Suisse joue parfois un rôle diplomatique majeur, par exemple lorsqu'elle a hébergé les négociations sur le nucléaire en 2014 et 2015. Mais dans les actions un peu moins médiatisées, elle facilite aussi l'échange de prisonniers.

Un journaliste accusé d'espionnage

Pour le journaliste Jason Rezaian, le premier contact avec la diplomatie suisse aura été une embrassade franche et amicale. L'ancien otage américain à Téhéran, libéré en janvier 2016 après 544 jours dans une prison de haute sécurité, a décrit la scène dans un livre sorti en début d’année. Et le diplomate qui l'a serré dans ses bras avant de le faire monter dans un avion pour Genève, c'est Giulio Hass, ambassadeur suisse en Iran à l’époque. Jason Rezaian était accusé d'espionnage, au moment où Washington et Téhéran négociaient l'accord nucléaire.

"Ces négociations sont la raison pour laquelle j’ai été emprisonné. Elles sont aussi la raison pour laquelle j'ai été libéré", explique le journaliste, rencontré par l'émission Tout un monde de la RTS dans son bureau au Washington Post.

Ces négociations (sur le nucléaire iranien, ndlr) sont la raison pour laquelle j’ai été emprisonné. Elles sont aussi la raison pour laquelle j'ai été libéré.

Jason Rezaian, journaliste, ex-otage américain libéré en 2016

Jason Rezaian vivait avec sa femme iranienne à Téhéran depuis cinq ans, lorsqu'il a été arrêté et emprisonné du jour au lendemain. Depuis la prison, il a pu suivre à la télévision l'avancée des négociations de l'accord nucléaire. Et il ne le savait pas encore, mais il est question de sa libération, ainsi que de celle de trois autres otages américains. L'Iran obtiendra en échange sept Iraniens détenus aux Etats-Unis, avec la Suisse dans le rôle de la facilitatrice.

L'ambassadeur, "c'était Superman"

Le journaliste américain décrit l'amabassadeur Giuglio Hass comme un homme "si calme". "Il m'a dit: 'Jason, cette opération, c'est une chose sur laquelle je travaille depuis plus d’un an. Cet avion qu'on a envoyé pour venir te chercher ne va pas quitter Téhéran avant que toi, ta femme et ta mère ne soyez à bord ensemble (...)", relate l'ancien otage. "Sans l'ambassadeur Hass, cela n'aurait jamais été possible. Pour moi, c'est comme si cet homme pouvait enlever sa chemise et qu'il y avait un gros 'S' et une cape...c'était Superman (rires)", conclut-il.

"Fervent défenseur de l'approche diplomatique"

Giulio Hass est cité dans le livre de Jason Rezaian, mais d’autres diplomates suisses ont été impliqués. Le Département fédéral des afffaires étrangères n'a pas accepté de donner suite aux demandes d'interviews de la RTS (voir encadré).

L'ambassadeur John Limbert (à d.), photographié en 2013 à l'issue d'une conférence de presse à Washington appelant à une meilleure diplomatie entre les Etats-Unis et l'Iran. [Reuters - Jonathan Ernst]
L'ambassadeur John Limbert (à d.), photographié en 2013 à l'issue d'une conférence de presse à Washington appelant à une meilleure diplomatie entre les Etats-Unis et l'Iran. [Reuters - Jonathan Ernst]

Ce silence cache peut-être quelques échecs. Mais un autre otage américain retenu en Iran a confirmé à Tout un monde les accès privilégiés que la Suisse a à Téhéran. Il s'agit de John Limbert, qui était jeune diplomate lors de la Révolution iranienne en 1979, retenu 444 jours dans l'ambassade américaine en Iran.

Il a passé plus de 30 années au sein du Département d’Etat amérciain, il a le titre d'ambassadeur et un avis très précis sur le travail de la Suisse en Iran: "une chose dans ma carrière m'a fait devenir un fervent défenseur de l’approche diplomatique: c'est ce que la Suisse a pu démontrer en Iran. Car durant mes 14 mois de captivité, j'ai vu qu'elle était l'alternative à la diplomatie. Si vous n'avez pas de règles, si les pays ne se parlent plus, ce que vous avez, c'est l'anarchie".

Une chose dans ma carrière m'a fait devenir un fervent défenseur de l’approche diplomatique: c'est ce que la Suisse a pu démontrer en Iran.

John Limbert, diplomate américain lors de la Révolution iranienne et ex-otage

Jason Rezaian est du même avis. "Je pense que si le gouvernement suisse n'avait pas joué ce rôle, nous serions dans une situation bien pire maintenant, car le dialogue entre Téhéran et Washington est rompu. C’est tellement important d’avoir des intermédiaires, comme vous aimez vous définir, 'neutres'. Et il est essentiel d'avoir des gouvernements comme le vôtre, qui peuvent être capables de jouer ce rôle pour protéger et sécuriser la stabilité et la paix dans le monde", estime-t-il.

Sujet radio: Raphaël Grand
Adaptation web: Jessica Vial

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La visite-éclair d'Ueli Maurer

Jason Rezaian et John Limbert relatent le travail de l'ombre de la diplomatie suisse, un travail qui se poursuit sans doute, mais sur lequel le Département fédéral des affaires étrangères reste silencieux.

En mai dernier, le président de la Confédération Ueli Maurer avait fait une visite-éclair dans le bureau ovale: la venue historique d'un président suisse à la Maison Banche, où il aurait été question de l'Iran.

Interrogé par la RTS après sa rencontre avec Donald Trump, Ueli Maurer s'était borné à dire que "ce mandat est confidentiel". Il avait répété à peu près la même chose aux médias américains, toujours très intéressés par le rôle de la "petite" Suisse dans les crises internationales.