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En Afghanistan, la présidentielle sous la menace des talibans

La menace des talibans pèse sur l'élection présidentielle en Afghanistan qui a lieu ce samedi
La menace des talibans pèse sur l'élection présidentielle en Afghanistan qui a lieu ce samedi / 12h45 / 2 min. / le 28 septembre 2019
Les élections se tiennent samedi en Afghanistan, dans un pays marqué par l'incertitude politique et les violences. Plusieurs attentats ont d'ailleurs frappé tôt samedi le sud du pays, faisant au moins 5 morts et 37 blessés. Mais quels sont les enjeux de ce vote déjà repoussé à deux reprises?

QUEL EST LE CONTEXTE ?

Ces élections se tiennent dans un contexte très particulier, quelques semaines seulement après l'arrêt brutal des négociations avec les talibans par le président américain Donald Trump. L'accord entre les deux parties semblait alors imminent et les observateurs s'attendaient à un nouveau report de l'élection pour laisser la place à l'application du plan de retrait, au grand dam du gouvernement Ghani.

Après quarante ans de guerre, ce qui prime pour les Afghans, c'est la paix et pas la forme de leur gouvernement

Karim Pakzad, spécialiste de l'Afghanistan

"Cet accord était une victoire pour les talibans", relève Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris. "Le virage à 180 degrés des Etats-Unis a été accueilli avec satisfaction par tous ceux qui étaient contre cette accord, à commencer par le président Ashraf Ghani, ainsi que par les personnes les plus éduquées, les femmes notamment, qui craignaient pour leurs droits".

>> (Re)voir notre grand format : Afghanistan, des femmes face aux talibans

Ashraf Ghani, le président afghan. [Reuters - Mandel Ngan]
Ashraf Ghani, le président afghan. [Reuters - Mandel Ngan]

Jugé illégitime par les talibans, Ashraf Ghani était tenu à l'écart des discussions. "C'était des négociations d'opportunité pour les talibans qui avaient bien compris que les Etats-Unis espéraient retirer leurs troupes avant la prochaine présidentielle. En cas de réélection samedi, le gouvernement actuel deviendrait un acteur plus fort", indique Romain Malejacq, qui vient de publier "Warlord Survival: The Delusion of State Building in Afghanistan".

Mais pour ce professeur en science politique, rien n'indique que les talibans aient nécessairement envie de dialoguer avec les futures autorités afghanes. Depuis la fin des pourparlers avec les Etats-Unis, ils ont d'ailleurs promis de tout faire pour empêcher la présidentielle.

QUI SE PRÉSENTE ?

D'après les observateurs, l'élection de 2019 risque fort de ressembler à celle de 2014, tant dans leur forme que dans leur issue. Cette année, dix-huit candidats sont en lice, dont deux favoris. Comme il y a cinq ans, le scrutin pourrait donc déboucher sur un duel entre le président actuel

Abdullah Abdullah, candidat à la présidentielle en Afghanistan lors d'un rallye de campagne. [AFP - HOSHANG HASHIMI]
Abdullah Abdullah, candidat à la présidentielle en Afghanistan lors d'un rallye de campagne. [AFP - HOSHANG HASHIMI]

Ashraf Ghani et son chef de l'exécutif, Abdullah Abdullah. Ancien bras droit du commandant Massoud, resté extrêmement populaire en Afghanistan, il retente sa chance après deux essais infructueux. En 2014, cet ophtalmologue de Kaboul avait affirmé avoir remporté le scrutin et l'administration Obama avait dû peser de tout son poids pour éviter un conflit en négociant un partage du pouvoir entre les deux hommes qui n'en sont pas moins restés à couteaux tirés. Une rivalité qui explique pourquoi plusieurs réformes législatives majeures n'ont pas eu lieu ces dernières années.

"Les résultats pourraient tarder à arriver et il y aura certainement un deuxième tour", prédit Romain Malejacq. "En 2014, il y avait eu une fraude massive. Cette fois, ce ne sera peut-être pas aussi généralisé en raison des progrès techniques, mais cela ne suffira pas", ajoute-t-il. Un avis partagé par le spécialiste de l'Afghanistan, Karim Pakzad, plutôt sceptique sur les garanties émises par l'ONU pour garantir la transparence du vote.

QUI POURRA VRAIMENT VOTER ?

Pays de près de 36 millions d'habitants, l'Afghanistan compte 9,6 millions d'inscrits, selon la commission électorale. Des études indépendantes estiment elles à 7 millions maximum le nombre d'électeurs. De nombreux doutes planent également quant au vote des femmes, souvent téléguidées par leurs maris.

DR [RTS]
L'Afghanistan, un pays déchiré comme le montre cette carte d'Al-Jazira. [RTS]

Au-delà, un tiers de la population du pays vit dans une zone du pays contrôlée par les talibans. Autrement dit n'aura pas accès à un bureau de vote. Ailleurs, la crainte d'attaques menées par les talibans est omniprésente. "Les talibans ont la capacité de perturber le scrutin", estime Karim Pakzad.

Conséquence: sur l'ensemble du pays, quelque 500 bureaux de vote resteront fermés. Mais selon le chercheur de l'IRIS, plusieurs inexactitudes ont été relevées par des candidats. Dans un tel contexte, tous les observateurs s'attendent à une forte abstention, comme ce fut le cas en 2014 et, déjà, en 2009.

QUELS DÉFIS POUR LA SUITE?

Le futur chef de l'Etat prendra la tête d'un pays en guerre où 55% de la population vivait avec moins de deux dollars par jour en 2017, et où le conflit avec les insurgés a tué plus de 1300 civils au premier semestre 2019, selon l'ONU. La BBC assure pour sa part que 74 personnes ont été tuées chaque jour pour le seul mois d'août, soit un total de 2307 morts sur un mois dont 20% de civils.

Il ne peut y avoir d'autres sorties de crise en Afghanistan qu'un dialogue avec les talibans

Romain Malejacq, professeur de science politique

S'il est réélu Ashraf Ghani tentera vraisemblablement de parvenir à un accord de paix entre son gouvernement et les talibans, s'ils y consentent. Sinon celui qui se considère comme le seul capable de reconstruire l'Afghanistan se dit prêt à les combattre pendant des générations.

>> Ecouter aussi ce sujet du 12h30 sur le défi de l'éducation des filles en Afghanistan :

L’éducation des filles reste un défi majeur en Afghanistan. [Reuters - Mohammad Ismail]Reuters - Mohammad Ismail
L’éducation des filles reste un défi majeur en Afghanistan / Le 12h30 / 2 min. / le 24 septembre 2019

Juliette Galeazzi

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