Les trois principales organisations criminelles installées sur le territoire italien, soit la Camorra, la 'Ndrangheta et la Cosa Nostra, ont enregistré un chiffre d'affaires de 24,5 milliards d'euros en 2018, en hausse de 12,4% par rapport à 2017, selon un rapport publié par le Coldiretti, le syndicat des agriculteurs italiens, et l'institut de recherche Eurispes. Le phénomène n'est pas nouveau -en 2014, l'agro-mafia rapportait déjà 14 milliards d'euros- mais il est désormais mieux connu.
La mafia agit de facto à tous les niveaux de la filière agro-alimentaire, de la production aux transports, de la distribution à la vente. Son influence se traduit par des abattoirs clandestins, des histoires de mozzarella blanchie au soda, de poisson "rafraîchi" aux produits chimiques ou de miel coupé au sirop. Mais dans la péninsule, parler de ce système se fait encore au péril de sa vie.
Tentatives de meurtre
"Moi, comme journaliste, j'ai raconté le système, comment les mafias continuent à s'enrichir sur notre dos, le dos des consommateurs finaux", témoigne le journaliste italien Paolo Borrometi, qui vient d'être récompensé du prix Mackler pour son courage et son éthique journalistique. Auteur d'une enquête sur la mafia des tomates en 2017, il vit désormais - à 35 ans - loin de sa Sicile natale sous la protection permanente de cinq policiers.
J'ai d'abord été agressé physiquement, en 2014, ensuite ils ont tenté de mettre le feu à mon habitation, et enfin l'an dernier, les boss avaient organisé un attentat à la voiture piégée qui a été déjoué
Son tort? S'être intéressé à la mafia de Syracuse et Ragusa, une mafia sicilienne moins connue, mais selon Paolo Borrometi plus riche que les clans plus célèbres de Palerme, Trapani ou Catane. "Avec mes enquêtes, j'ai mis en lumière le rôle de La Fenice SRL, la société la plus importante du consortium IGP de la tomate Pachino. Ce consortium permet de garantir la qualité du produit et, avec cette marque, le clan commercialisait ses produits dans toute l'Italie et toute l'Europe", détaillait-il en 2018 au quotidien français Libération.
Précieuse mozzarella
Derrière les menaces de mort, des millions d'euros sont en jeu. Fabricant de mozzarella, Gianfranco Paolo ne le sait que trop bien. Il y a quelques années, il a été kidnappé par la Camorra. "On ne pouvait pas traiter avec eux. C'était soit donner 50'000 euros, soit fermer boutique", explique-t-il à la RTS. Sa famille a payé et les mafieux dorment aujourd'hui en prison, mais il ne se fait pas d'illusion: la mafia continue à lorgner sur son or blanc et, dans la région de Caserte, la mafia s'est infiltrée partout dans la filière, des élevages de bufflones à la vente de fromage.
Nous devons continuer à creuser pour trouver où se cachent les capitaux et quels sont les prête-noms des mafieux, pour les neutraliser
Quelques courageux s'élèvent toutefois contre le système en créant des élevages "sans mafia". Ainsi la coopérative "Les terres de Don Peppe Diana" s'est installée dans une étape confisquée à la Camorra, avec le soutien de l'association Liberà.
En misant sur une économie sociale, propre et équitable, cette coopérative tout comme ses consoeurs, Goel, en Calabre, ou les associations Diritti a Sud et Solaria, font figure de lieu de référence pour faire barrage à l'agro-mafia. Des initiatives qui, pour l'heure, restent locales.
Article web de Juliette Galeazzi
Sujet TV: Valérie Dupont, correspondante en Italie
L'exploitation des ouvriers, l'autre plaie de l'agriculture italienne
Selon une étude du syndicat Cgil-Flai, quelque 400'000 travailleurs agricoles sont exposés en Italie à un risque de travail irrégulier et d'exploitation, dont plus de 100'000 se trouvent dans une situation de "grave vulnérabilité". S'ils sont en majorité étrangers, des Italiens sont aussi concernés.
"Ces gens sont réduits en esclavage", via le "caporalato", dénonce Jean-René Bilongo, responsable de la question des politiques migratoires et des inégalités au Cgil-Flai. Le "caporal" est un intermédiaire entre l'agriculteur et les ouvriers. "C'est lui qui négocie les rétributions en empochant une marge: par exemple, sur cinq euros négociés pour un énorme cageot de tomates, il ne versera que trois euros aux ouvriers", note Jean-René Bilongo. Beaucoup vivent en outre dans des bidonvilles en rase campagne, les "ghettos".
La Cgil-Flai comme la Coldiretti, le principal syndicat agricole, et les militants sur le terrain pointent par ailleurs du doigt la grande distribution qui maintient des prix très bas, la mafia et l'absence d'action en justice. (AFP)