"Pour Recep Tayyip Erdogan, c'est un cauchemar d'avoir une zone kurde autonome à sa frontière", résume Antoine Silacci, journaliste à la rubrique internationale TV de la RTS.
Peuple essentiellement sunnite avec des minorités non musulmanes et des formations politiques souvent laïques, les Kurdes se répartissent entre plusieurs pays, mais majoritairement entre l'Irak, l'Iran, la Turquie et la Syrie.
Assimilés au PKK
Alors que pour le président turc Erdogan, le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, est considéré comme terroriste, le PYD, son émanation côté syrien, contrôle une vaste zone du nord de la Syrie. Car en pleine guerre, les Kurdes se sont vu céder par Bachar al-Assad la lutte face aux fractions rebelles et, plus précisément, au groupe Etat islamique. Les combattants kurdes ont d'ailleurs été en première ligne dans la lutte contre les djihadistes pour le compte de la coalition internationale menée par les Etats-Unis.
Résultat: les Kurdes, qui représentent environ 15% de la population syrienne, administrent actuellement environ un tiers du territoire, dont près de 500 kilomètres le long de la frontière turque. De quoi déranger Recep Tayyip Erdogan, qui a déjà lancé deux opérations armées dans la région.
"Zone de sécurité"
Après les opérations "Bouclier de l'Euphrate", en 2016, et "Rameau d'olivier", en 2018, qui ont permis à la Turquie de reprendre le contrôle sur tout un pan nord-ouest de la Syrie, l'opération "Source de paix" arrive avec toujours le même objectif: empêcher les Kurdes du Rojava, le Kurdistan syrien, de consolider l'autonomie acquise progressivement depuis 2013 et éviter que le PYD ne fasse la jonction avec les Kurdes de Turquie et ne crée un embryon d'Etat kurde.
Au-delà de cet objectif, le président turc se retrouve confronté à une opinion publique turque de plus en plus hostile aux 3,5 millions de réfugiés syriens présents sur son territoire. C'est pourquoi il envisage d'établir une "zone de sécurité" à sa frontière sud pour, dit-il, réinstaller une partie des réfugiés arrivés en Turquie. Une volonté contraire aux Conventions de Genève.
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Dans cette configuration géopolitique, les Kurdes de Syrie se retrouvent pris en étau entre d'un côté la Turquie et de l'autre la Syrie et un Bachar al-Assad qui pourrait bien vouloir récupérer ces 30% de territoire qui lui échappent et qui sont maintenant libérés du groupe Etat islamique.
Une région stratégique
"Jusqu'ici, Damas n'avait pas de velléité de reprendre ce territoire en raison de la présence des forces spéciales américaines, mais avec leur retrait, son appétit pourrait se réveiller", estime Antoine Silacci. Et de rappeler que la zone contrôlée par les Kurdes présente un intérêt relativement "stratégique" pour la Syrie puisqu'elle est d'une part son grenier à blé et compte, d'autre part, de nombreux puits de pétrole.
"Il faut bien comprendre qu'en reprenant des territoires qui étaient sous le joug du groupe Etat islamique, les Kurdes sont arrivés dans des zones qui étaient généralement majoritairement peuplées d'Arabes. Ils ne sont pas forcément en terrain conquis et leur contrôle dans ces zones est plutôt friable", avertit encore Antoine Silacci.
Faible soutien international
Après avoir donné le feu vert à Ankara dimanche, en annonçant le retrait des troupes américaines, Donald Trump s'est quelque peu rétracté ces derniers jours, mais pas au point de voler au secours des Kurdes. "Ils n'étaient pas là pour nous aider en Normandie", a-t-il argumenté dans une phrase qui a -depuis- fait le tour du monde.
Côté européen, l'annonce de l'opération turque a suscité de vives critiques. Mais plus que le souci de la population locale, c'est le devenir des djihadistes retenus dans des camps et des prisons du nord de la Syrie qui préoccupe. Car les Kurdes ont déjà averti: s'ils doivent se défendre face à Ankara, ils ne pourront plus assurer la surveillance de ceux qu'ils détiennent, lesquels pourraient s'échapper et rallier l'Union européenne. Une menace sécuritaire prise très au sérieux à Bruxelles, Paris ou Berlin.
Vidéo et texte: Juliette Galeazzi