"Elles vont mourir, elles vont mourir", répète un jeune homme en
fouillant les gravats d'un magasin où deux femmes gémissent
faiblement. Désorganisés, sans matériel, sans entraînement, les
bénévoles ne croient pas au miracle. Quarante-huit heures après le
séisme, les cris de Maryse traumatisent les sauveteurs qui
fouillent les gravats.
De jeunes hommes, simples passants et volontaires, s'emploient
sans grand succès à dégager l'écheveau à la fois tordu et compact
de morceaux de béton et d'armatures métalliques qui la maintiennent
prisonnière. Bien que des avions aient commencé à apporter l'aide
internationale à Port-au-Prince, deux jours après le séisme le plus
destructeur qu'ait connu Haïti, la plupart des habitants ne peuvent
toujours compter que sur eux-mêmes pour porter secours aux
victimes.
"Elles vont mourir"
Maryse et au moins
une autre jeune femme coincée avec elle sous les décombres d'une
rue du centre-ville sont toujours vivantes, mais leurs sauveteurs,
démunis d'engins de levage, ont peu d'espoir de les en tirer.
"Elles vont mourir, elles vont mourir", ne cesse de se lamenter
Jean Rald Rocher, 30 ans, étudiant en comptabilité, qui ne porte
pour toute protection qu'un masque en papier pour fouiller le béton
armé qui emprisonne les corps.
Il a rejoint une bande désorganisée de jeunes hommes criant leur
rage face aux 4X4 des diplomates ou des travailleurs humanitaires
qui passent sans s'arrêter. Selon Domeck Mathurin, 52 ans, un
enseignant propriétaire de la maison voisine qui s'est écroulée sur
le magasin, au moins trois autres personnes sont mortes sous le
bâtiment, d'où émanent des plaintes de plus en plus faibles.
C'est une tragédie qui se répète dans une ville où chaque artère
dégorge son lot de cadavres boursouflés, accueille ses réfugiés qui
errent avec les quelques affaires qui leur restent, cherchant un
coin où passer la nuit. Haïti est souvent cité comme le pays le
plus pauvre des Amériques, mais dans cet océan de pauvreté
émergeaient des îlots de relative aisance.
Or, ces quartiers aux immeubles de plusieurs étages construits en
béton, ont été durement frappés par le séisme. Dans une école
d'infirmières qui n'est plus que gravats, une personne a crié
pendant une journée mais on ne l'entend plus.
Mort malgré une lutte acharnée
Autre récit déchirant, celui d'un Haïtien décédé après neuf
heures de lutte acharnée pour l'extraire des décombres. Malgré un
ultime massage cardiaque, cet homme prisonnier de la tôle et du
béton qui criait depuis deux jours s'est éteint jeudi devant la
trentaine de sauveteurs venus le secourir.
Dans le centre de Port-au-Prince, à
quelques mètres du Palais présidentiel, cet employé de la Direction
générale des impôts a été découvert jeudi matin, gémissant mais
bien conscient, au sommet d'une montagne de blocs de ciment, de
câbles et de restes de bureaux, les jambes coincées sous une dalle
de béton.
Sous un soleil de plomb, ses collègues des impôts, seuls, sans un
sauveteur pour les aider, ont alors entrepris de le libérer à coups
de burin. L'un de ses collègues a posé une planche en bois sur son
visage pour le protéger des pierres qui sautaient avec les coups
fendant le béton. Dans l'après-midi, militaires et secouristes de
la protection civile de la République dominicaine ont rejoint ces
sauveteurs d'un jour. Avec leur cisaille électrique, leur
goutte-à-goutte et leur savoir faire.
Massage cardiaque insuffisant
Après avoir déchiré la dalle mortuaire, les Dominicains, en
combinaison orange, se sont rendus compte qu'Elie Liest était aussi
bloqué par le cadavre d'une de ses collègues, morte depuis
plusieurs heures. Toujours conscient, l'homme agonisait, tremblant
de tous ses membres.
Cinq sauveteurs ont tenté malgré tout de l'extraire pour le poser
sur une civière. Mais les cris, la force et la sueur n'y ont rien
fait: impossible de déplacer l'homme corpulent dont la respiration
s'espaçait dangereusement. "Il est en train de mourir!", ont crié
deux sauveteurs en voyant le souffle du survivant s'arrêter. Un
massage cardiaque lui a été prodigué au fond de son trou fatal. En
vain. "C'est fini", ont tranché les Dominicains en abandonnant
derrière eux le trou béant dans lequel gisaient deux cadavres.
Des raisons d'espérer tout de même
Les sauveteurs français à Port-au-Prince ont eu plus de chance:
ils ont dégagé trente Haïtiens en plus des personnes en majorité
étrangères secourues à l'hôtel Montana, a annoncé Bernard Kouchner.
"Nous sommes toujours dans une phase d'urgence, encore pour
quelques jours. L'essentiel, c'est de retrouver des survivants", a
ajouté le chef de la diplomatie française.
Jeudi, les sauveteurs français ont également sauvé deux enfants et
une nounou qui étaient prisonniers des décombres d'une petite
maison, a-t-on appris à l'ambassade de France.
agences/ps
Un bilan sur la nationalité des victimes
Voici une liste des pays ayant signalé des décès et disparus (hormis bien sûr les très nombreuses victimes haïtiennes, dont 7000 ont déjà été inhumées). Deux Suisses ont été blessés dans le séisme qui a frappé Haïti, a indiqué vendredi l'ambassade de Suisse à Port-au-Prince. Plus d'une centaine a été contactée jusqu'ici sur les quelque 180 recensés dans le pays.
France: huit morts et 60 disparus
Brésil: 15 morts et cinq disparus.
Canada: quatre morts et cinq disparus
Chili: quatre disparus
Costa Rica: cinq disparus
Danemark: deux disparus
Etats-Unis: un mort, trois disparus. L'ambassade a contacté un millier d'Américains, leur nombre total à Haïti est estimé à 45'000
Italie: une centaine de disparus
Mexique: un mort, 40 des 80 Mexicains vivant à Haïti localisés
Nations unies: 36 membres du personnel de l'ONU sont morts et près de 200 employés sont toujours portés disparus dans les ruines du quartier général de la mission de stabilisation à Haïti (MINUSTAH)
Norvège: un disparu
Pays Bas: trois blessés dont un enfant, 22 disparus
Pologne: quatre disparus
République dominicaine: quatre morts
Uruguay: un disparu