Six mois après le départ du président Abdelaziz Bouteflika, les mobilisations ne faiblissent pas en Algérie. Une partie de la société est dans la rue les mardis et vendredis pour le "Hirak", mouvement en arabe, qui réunit des centaines de milliers d’Algériens pacifiquement depuis février. "C'est essentiellement un mouvement citoyen de masse, qui inspire à des changements pacifiques au niveau des institutions, du régime politique algérien", précise le politologue Luis Martinez.
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Pour l'heure, il est pacifique, mais chaque mobilisation de la rue est annoncée à haut risque. Un embrasement violent est redouté. "Un ensemble de raisons nous laisse pourtant espérer que le dérapage n'aura pas lieu. D'une part parce qu'il y a un professionnalisme de l'encadrement des manifestations de masse dans les grandes villes d'Algérie, et d'autre part parce qu'il y a, de la part des autorités, une très forte volonté de ne surtout pas provoquer une bavure ou un dérapage qui serait sans doute l'ouverture d'une confrontation violente", décrypte le spécialiste du Maghreb.
Il y a une volonté de faire dégager un certain nombre de responsables politiques, administratifs et militaires qui, du point de vue de la rue, gèrent le pays plutôt mal que bien
Le fait qu'Abdelaziz Bouteflika ne se présente pas pour un cinquième mandat en décembre prochain n'a pas suffi à apaiser la rue. "Elle a des demandes très nombreuses et difficiles à appliquer rapidement", explique Luis Martinez, qui cite une transition vers une démocratie, un état de droit et des institutions représentatives. "En parallèle, on a une volonté de faire dégager un certain nombre de responsables politiques, administratifs et militaires qui, du point de vue de la rue, gèrent le pays plutôt mal que bien".
Souhait de changements profonds
"Ce que souhaite la rue aujourd'hui, ce sont des changements profonds. Mais ceux-ci nécessitent des compromis, du temps, de la confiance. On voit bien que ces conditions-là ne sont pas toujours au rendez-vous", poursuit le politologue. Et ce ne sont pas les partis politiques qui aideront à resserrer les liens entre la société et les institutions: "Ils sont débordés par un phénomène de citoyenneté de la rue. Elle ne leur accorde plus vraiment crédit, en raison de leurs compromissions passées avec les autorités".
L'annonce d'une élection présidentielle le 4 juillet, repoussée une première fois au 12 décembre prochain, n'a rien arrangé: "La rue estime que c'est un agenda que l'armée impose en raison d'une contrainte constitutionnelle. Cette élection ne répond pas à sa demande de transition politique ordonnée, dans laquelle elle serait impliquée. Les citoyens souhaiteraient davantage une assemblée constituante qui définirait les bases d'un nouveau contrat politique et annoncerait un cadre électoral", détaille Luis Martinez.
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Deux anciens premiers ministres favoris
Pour l'instant, les deux grandes figures de cette élection sont Ali Benflis et Abdelmadjid Tebboune, tous deux d'anciens Premiers ministres d'Abdelaziz Bouteflika, devenus par la suite critiques envers lui. Luis Martinez estime toutefois que pour la rue, ils ne correspondent pas à de futurs présidents. "L'abstention risque d'être très forte si on reste dans l'agenda imposé par l'armée. Il y a un appel au boycott qui semble assez massif, et je pense qu'il sera suivi d'effets", avance le spécialiste.
Il y a un appel au boycott qui semble assez massif, et je pense qu'il sera suivi d'effets
Si la population des grands centres urbains risque de bouder les urnes, qu'en sera-t-il de celle plus rurale du reste du pays? "ll y a plusieurs Algéries aujourd'hui, dont une qui est assez indifférente à tout cela, qui ne croit plus au changement politique, aux institutions. Elle est dans une économie de précarité, doit survivre au quotidien. Elle prête très peu attention à celui qui gouverne, dès l'instant où on ne vient pas la priver du très peu de ressources dont elle dispose".
Propos recueillis par Xavier Alonso
Adaptation web: Vincent Cherpillod
"L'impact de l'Algérie dépasse très largement la problématique française"
Si l'instabilité et les conflits venaient à exploser dans le pays, Luis Martinez ne pense pas que la France aurait à craindre une vague migratoire massive, malgré le million de binationaux franco-algériens et leur famille élargie qui pourrait être tentée de rejoindre la France.
"Aujourd'hui, la société algérienne est beaucoup plus proches de ses voisins tunisiens et marocains. Il n'y a plus ce prisme attractif envers la France. La destination préférée des Algériens, en termes de tourisme, c'est la Tunisie, plus du tout la France comme dans les années 80", illustre le politologue. Pour lui, "l'impact de l'Algérie, Etat central dans la stabilité de l'Afrique du Nord, dépasse très largement la problématique française".