"Monsieur le président, dites stop à la haine contre les musulmans de France". C'est ainsi que débute la tribune publiée dans le quotidien Le Monde mi-octobre condamnant l'attaque verbale sur une accompagnatrice scolaire voilée. Une affaire qui a soulevé un tollé en France. Jusqu'à amener le Sénat français à adopter une proposition de loi visant à interdire le port de signes religieux aux parents accompagnant des sorties d'école (voir encadré).
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Parmi les signataires du texte dans Le Monde figure la journaliste, réalisatrice et écrivaine française Rokhaya Diallo. Avec près de 90 autres personnalités, elle s'y dit révoltée de cette image qui a fait le tour des réseaux sociaux. Ainsi que des déclarations qui ont suivi.
"Le fait que des mamans qui portent un foulard ne puissent pas accompagner leurs enfants sur le plan scolaire alors que c'est légal de porter un foulard aujourd'hui en France, pour moi c'est grave", déclare-t-elle à la RTS. "Je suis toujours très étonnée d'entendre parler des femmes qui portent un foulard parce que musulmanes comme si on parlait d'enfants", ajoute-t-elle. "On considère toujours que leur volonté n'est pas crédible, même si elles expriment le fait qu'elles portent le foulard de manière volontaire."
La défense du port du voile constitue un des thèmes qui occupent la militante née à Paris de parents sénégalais et gambien. Tout comme le "racisme d'Etat" qu'elle dénonce régulièrement en évoquant les contrôles "au faciès" ou les violences policières dont sont victimes les personnes d'origine maghrébine ou africaine dans l'Hexagone. Celle qui avait créé les satiriques "Y'a bon Awards", récompensant les déclarations publiques jugées racistes, revient sur la question des discriminations dans son nouvel ouvrage "La France tu l'aimes ou tu la fermes?", un recueil de tribunes publiées dans la presse.
"Hiérarchiser, c'est exclure"
Pour la militante aux luttes multiples, pas question de prioriser un combat par rapport un autre. "Je suis une femme noire, on ne peut pas me demander si c'est plus important de lutter contre le racisme ou le sexisme", explique Rokhaya Diallo. "Hiérarchiser, c'est exclure."
Et de souligner l'importance de l'intersectionnalité des discriminations. Soit la pluralité des oppressions dont il faut tenir compte de manière simultanée, selon l'essayiste. "Cela signifie que je ne peux pas me considérer comme émancipée si des personnes lesbiennes, trans, homosexuelles ne sont pas émancipées au même titre que moi", précise-t-elle.
Ces positions tranchées divisent en France. Nommée en 2017 au sein d'un Conseil national du numérique nouvellement créé, Rokhaya Diallo ne pourra y siéger. Une réaction vive parmi d'autres à ses tribunes antiracistes.
"Ces accusations ne font particulièrement pas plaisir parce qu'elles viennent d'une femme noire", analyse la quadragénaire. "Je ne suis pas la première à parler de racisme d'Etat en France. Il se trouve que mes prédécesseurs qui l'ont fait dans l'espace public étaient pour la plupart des personnes blanches. Mais une rhétorique analogue émanant d'une femme noire est perçue comme une attaque. Parce que bien qu'étant Française, née en France, n'ayant jamais vécu ailleurs, je suis quand même perçue comme quelqu'un d'extérieur."
"Ces personnes ont peur de perdre leur situation de confort et de domination"
Mais malgré les polémiques et les attaques à son encontre, Rokhaya Diallo croit en son combat. "On a bien réussi à abolir l'esclavage alors que c'était inscrit dans la loi", rappelle-t-elle. "Et on a quand même réussi à faire avancer les droits des femmes malgré une domination multimillénaire, donc je ne vois pas pourquoi on n'arriverait pas à combattre le racisme."
Pour la militante, ce qu'elle perçoit comme une radicalisation de la parole raciste n'est que le reflet de la peur des racistes eux-mêmes. "Ces personnes ont peur de perdre leur situation de confort et de domination. J'ai espoir parce que je vois une panique en face, dans le camp de ceux qui sont sur le terrain du conservatisme. Et pour moi, cette panique est significative d'un changement qui est en train d'arriver."
La femme de toutes les luttes porte ainsi un regard paradoxal sur la société: sévère, mais plein d'espoir.
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Propos recueillis par Anne Fournier
Adaptation web de Tamara Muncanovic
Le Sénat vote l'interdiction pour les parents accompagnant les sorties scolaires
Dominé par l'opposition de droite, le Sénat français a adopté le 29 octobre dernier une proposition de loi visant à interdire le port de signes religieux aux parents accompagnant des sorties scolaires, suscitant des réactions hostiles tant au gouvernement que dans l'opposition de gauche.
A l'issue d'un débat passionné de près de cinq heures, le texte a été voté par 163 voix contre 114 et 40 abstentions. Il a toutefois peu de chances d'être voté par l'Assemblée nationale, dominée par la majorité présidentielle.
(afp)