L'appareil s'était abîmé en mer au large de l'Indonésie le 28 octobre 2018, causant la mort de ses 189 passagers et membres d'équipage.
"La conception et la certification du MCAS étaient inadaptées", a déclaré le comité national en charge de la sécurité des transports dans un rapport rendu public vendredi à Jakarta.
Pilotes pas suffisamment informés
Les enquêteurs soulignent que ce système censé empêcher l'appareil de piquer du nez était vulnérable car il ne reposait que sur un seul capteur et que les pilotes n'avaient pas bien été informés de la manière de réagir en cas de dysfonctionnement.
"Le manuel de vol de l'avion et la formation des pilotes ne comprenaient pas d'informations sur le MCAS", écrivent-ils. Ces derniers avaient du reste déjà rencontré des problèmes de perte de contrôle de l'appareil lors d'un précédent vol.
Autre problème mis en évidence: un capteur de ce système avait été "mal calibré" et ce défaut n'a pas été décelé par les équipes en charge de la maintenance de l'avion.
Lacunes de l'équipage
Mais le MCAS n'est pas seul en cause dans l'accident, selon le rapport. Selon les enquêteurs, la situation d'urgence "n'a pas été gérée efficacement" par l'équipage, dont les lacunes avaient "déjà été identifiées pendant l'entraînement et sont réapparues lors du vol en question".
Après avoir pris connaissance de ce rapport mercredi à huis clos, certains proches des victimes ont exprimé leur déception. "Cependant nous n'avons pas d'autre choix que de l'accepter", a déclaré l'un d'entre eux, qui a perdu son fils dans l'accident.
afp/oang
Le rapport d'enquête en détail
Publié jeudi, le rapport final sur le crash du vol 610 de Lion Air détaille sur 320 pages les circonstances de l'accident ainsi que les facteurs qui, ensemble, ont contribué au drame. Les cinq premiers incriminent le constructeur Boeing (de même que la FAA, instance américaine notamment chargée d'homologuer les nouveaux appareils), le sixième un atelier de réparation américain, les sept et huitième la compagnie Lion Air et le neuvième, le pilote et le copilote.
1. Les hypothèses émises par le constructeur de l'appareil au sujet de la manière dont l'équipage allait réagir en cas de mauvais fonctionnement du MCAS, le système anti-décrochage de l'appareil, se sont avérées érronées.
En clair: Boeing pensait qu'une panne ou l'enclenchement intempestif du MCAS causerait un problème mineur pouvant facilement être résolu par les pilotes, ce qui n'a pas été le cas.
2. Considérant qu'un dysfonctionnement du système anti-décrochage MCAS ne poserait pas de problème majeur aux pilotes, Boeing a jugé approprié de lier son fonctionnement aux données envoyées par un unique détecteur d'angle d'attaque.
En clair: Le détecteur d'angle d'attaque est un capteur placé sur la carlingue de l'appareil, qui permet de connaître l'inclinaison de l'avion en vol par rapport à l'horizontale. Il y a deux capteurs de ce type sur le 737 MAX, mais un seul est lié au système anti-décrochage MCAS.
3. Concevoir le MCAS pour qu'il s'appuie sur les données d'un unique détecteur d'angle d'attaque l'a rendu vulnérable aux éventuelles informations fausses que pourrait envoyer ce détecteur.
En clair: Le système anti-décrochage automatique MCAS du Boeing 737 MAX était programmé pour s'enclencher automatiquement dès que le capteur d'angle d'attaque lui indiquait que l'avion, de par son angle par rapport à l'horizontale, allait bientôt perdre son appui sur l'air et décrocher.
Le MCAS a été incorporé au 737 MAX parce que l'avion avait tendance à se cabrer facilement dans les airs. En cause: la portance supplémentaire générée par les nacelles des nouveaux moteurs, plus grandes que celles qui équipaient les anciennes générations de 737.
Si le détecteur d'angle d'attaque indiquait au MCAS que le nez de l'avion était trop cabré, ce dernier orientait automatiquement le nez de l'appareil vers le sol pour éviter qu'il ne perdre sa portance sur l'air.
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4. L'absence de mention du système anti-décrochage MCAS dans le manuel de pilotage du 737 MAX et d'instructions détaillées pour contrer son effet ont rendu difficile aux pilotes de prendre les bonnes mesures pour contrer son activation.
En clair: Alors même que le MCAS, s'il s'activait, modifiait considérablement le comportement de l'avion en le faisant plonger automatiquement toutes les 10 secondes, Boeing a estimé qu'il n'était pas nécessaire de renseigner les pilotes sur sa présence à bord des 737 MAX et sur son mode de fonctionnement.
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5. L'alerte de dsyfonctionnement des détecteurs d'angle d'attaque, qui doit avertir les pilotes lorsque les données en provenance des deux capteurs diffèrent, n'a pas fonctionné en raison d'un défaut de conception.
En clair: L'enquête a permis de constater que le déclenchement de l'alarme était conditionné, par erreur, par la présence d'un indicateur visuel de l'angle d'attaque dans le cockpit. Or, cet affichage n'était installé dans les appareils que contre supplément, Boeing ayant estimé qu'il ne s'agissait pas d'un équipement indispensable pour une utilisation sûre de l'avion. Lion Air avait choisir de ne pas l'installer et n'était de loin pas la seule: environ 80% des 737 MAX livrés jusqu'ici en étaient dépourvus. Ainsi, l'alarme visuelle qui devait indiquer aux pilotes que l'un des détecteurs d'angle d'attaque fonctionnait mal ne s'est pas activée.
6. Peu de temps avant l'accident, un détecteur d'angle d'attaque avait déjà été remplacé en raison d'un dysfonctionnement. Mais ce détecteur de remplacement installé lors du vol précédant l'accident ne fonctionnait pas lui non-plus, en raison d'une erreur de calibrage effectuée par l'atelier ayant fourni cette pièce de rechange.
En clair: C'était l'un des grands mystères de cet accident: comment le détecteur d'angle d'attaque avait-il pu tomber en panne alors qu'il venait d'être remplacé? Aussi improbable que cela puisse paraître, un premier détecteur défectueux en raison d'un défaut électronique interne a été remplacé par un autre détecteur défectueux lui aussi, mais pour une autre raison: il avait été mal calibré par l'atelier américain l'ayant livré à la compagnie aérienne indonésienne. L'Administration fédérale de l'aviation américaine a d'ailleurs révoqué le certificat de cet atelier, coupable d'avoir livré cette pièce sans l'avoir testée.
7. Il n'a pas été possible de déterminer si un test d'installation du détecteur d'angle d'attaque de remplacement avait été effectué de manière correcte par le service technique de Lion Air.
En clair: Il est probable que le test du détecteur d'angle d'attaque dont le calibrage avait été mal effectué par le fournisseur ait été omis ou fait de manière incomplète par Lion Air, qui n'a pas été en mesure de documenter le déroulement du test.
8. La compagnie aérienne Lion Air a mal documenté le problème survenu lors du vol précédent, dans lequel la même activation répétée du MCAS s'était présentée.
En clair: Ce mauvais suivi de la part de Lion Air n'a pas permis au service technique d'identifier le problème déjà survenu lors du vol précédent, ni à l'équipage du vol fatal d'en prendre connaissance et d'apprendre la manière dont les pilotes du vol précédent l'avaient résolu.
9. Les pilotes n'ont pas communiqué entre eux de manière optimale et le copilote, qui avait déjà montré des lacunes lors d'entraînements, n'a pas réagi de manière adéquate face aux problèmes auxquels il était confronté.
En clair: Le rapport révèle que le pilote avait la grippe. Après avoir successivement contré les effets du système anti-décrochage MCAS qui faisait piquer l'appareil, il a passé les commandes au copilote, apparemment sans lui préciser comment il avait fait pour contrer le MCAS. Le copilote, qui s'est avéré incapable d'effectuer certaines checklists devant être apprises de mémoire, n'a pas appliqué les bonnes mesures pour annuler les effets du MCAS.
Vincent Cherpillod