"Il y a quelque chose de presque anachronique à célébrer la fin du Mur de Berlin dans un monde où on n'a jamais construit autant de murs". Responsable du magazine Global Challenges, édité par l'Institut genevois de hautes études internationales et du développement (IHEID), Marc Galvin évoque avec plaisir les souvenirs de 1989. Mais il insiste: "Nous avons changé d'époque".
>> Voir aussi notre grand format : Berlin, ce qu'il reste du Mur
Qu'il est loin en effet l'idéal d'un village planétaire porté par la mondialisation des années 1990. Dans la foulée du livre de Francis Fukuyama, on parlait alors de "fin de l'Histoire". Comment imaginer un système qui fonctionne mieux que l'alliance entre démocratie et libéralisme? Comment ne pas croire en l'avenir du multilatéralisme?
La théorie paraît presque naïve au regard du monde tel qu'il se présente en 2019. Le politologue de l'Université de Stanford a d'ailleurs lui-même nuancé ses propos depuis la parution du livre en 1992.
Le tour de la Terre
Selon les travaux consultés par la RTS, entre 56 et 70 murs "physiques" - définis comme des barrières non amovibles ancrées dans le sol - existent actuellement dans le monde. C'est plus du double de 2001.
Mis bout à bout, ces murs formeraient une ligne d'environ 40'000 kilomètres, soit la circonférence de la Terre.
La démocratie s'est approprié le mur
"L'attaque contre les tours du World Trade Center à New York a apporté le premier coup de griffe. Elle a eu pour conséquence un repli sécuritaire et l'augmentation du nombre de murs", indique Marc Galvin. "Le 11-Septembre a marqué un changement paradigmatique" confirme aussi Elisabeth Vallet. Directrice de l'Observatoire géopolitique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), ses travaux sur les murs font référence.
Une réponse politique
"Il ne s'agit plus, à travers le blindage de la frontière, de convertir une ligne de front en frontière de fait et d'imposer une paix provisoire (comme le font les fortifications entre les deux Corées, à Chypre, voire la Line of Control entre l'Inde et le Pakistan), mais bien, si l'on s'en tient aux discours des Etats constructeurs de murs, de prévenir des menaces", écrit-elle dans l'article "Border Walls".
Alors qu'à l'époque le rideau de fer avait pour vocation d'empêcher les gens de sortir d'un pays, les frontières actuelles ont plutôt pour rôle d'empêcher l'entrée sur un territoire national. Des murs sont ainsi apparus pour contrer des flux migratoires ou une menace terroriste, à l'instar de celui entre les Etats-Unis et le Mexique, défendu par le président Donald Trump, ou entre la Hongrie et la Serbie, érigé par Viktor Orban.
Aujourd'hui, les murs sont érigés pour se protéger du voisin. Ils reflètent les valeurs des politiques du moment
Depuis 2015, les annonces de murs se sont à nouveau multipliées, constate Elisabeth Vallet. "Aujourd'hui, les murs constituent une réponse évidente à un danger réel ou fantasmé, apportée par un gouvernement qui veut montrer qu'il agit rapidement", observe Elisabeth Vallet.
Des frontières au centre
"Alors que les zones de frontière étaient autrefois considérées comme périphériques, elle sont aujourd'hui devenues un enjeu central pour les Etats", relève encore la chercheuse. "Certains pays vont même jusqu'à externaliser leurs politiques transfrontalières au-delà de leur frontière physique", ajoute-t-elle. C'est le cas, par exemple, de l'Union européenne en Afrique ou des Etats-Unis à la frontière sud du Mexique.
Face à cette prolifération, la Québécoise tient avec son équipe une carte des murs mise à jour en continu. D'un point de vue méthodologique, un mur est recensé à partir du moment où il est confirmé par trois sources. Il y en a donc, selon elle, 70.
C'est un peu plus que les 56 représentés sur la carte établie à l'IHEID (ci-dessous) sur laquelle certains murs récents ne sont pas représentés. Ainsi, celui établi à Calais entre la France et l'Angleterre, n'apparaît pas. De même, la frontière entre Chypre et la république turque de Chypre du Nord, non reconnue sur le plan international, n'est pas mentionnée.
>> Si la carte s'affiche mal, cliquez ici
Le péril russe
En Estonie, où la RTS s'est rendue, aucun mur physique n'est érigé, mais la frontière marque la séparation entre des pays membres de l'OTAN et la Russie. Une zone témoin de nombreuses tensions, qui prouve qu'en 2019, le rideau de fer s'est déporté à l'Est, à défaut d'avoir disparu.
Article web: Juliette Galeazzi