Le président bolivien Evo Morales s'en va, acculé par trois semaines de violentes protestations contre sa réélection pour un quatrième mandat. Le coup de grâce lui a été porté par l'armée et la police qui ont réclamé son départ dimanche, quelques heures après les démissions de plusieurs ministres et députés, dont le président de l'Assemblée nationale.
Elu en 2006, il était à tout juste 60 ans l'un des derniers représentants de la vague "rose" qui a déferlé sur l'Amérique latine dans les années 2000 (lire encadré). D'aucuns crient au coup d'Etat.
"Une révolution populaire"
"Je parlerais plutôt de révolution populaire", répond Pascal Drouhaud, spécialiste de l'Amérique latine à l'Institut Choiseul, dans Le 12h30. "Le coup d'Etat est le renversement du pouvoir par une personne investie d'une autorité de façon illégale et brutale. En fait, nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure en Bolivie", observe-t-il.
Pour Pascal Drouhaud, cette situation couronne un processus politique entamé en 2016. Une partie des Boliviens n'ont en effet pas pardonné à Evo Morales d'avoir brigué un quatrième mandat, alors que les électeurs s'étaient prononcés contre cette éventualité - il y a trois ans - dans le cadre d'un référendum.
Etoile ternie
Berger de lamas, né le 26 octobre 1959 dans un village miséreux de la région de l'Oruro, dans le centre de la Bolivie, Evo Morales a grimpé les marches du pouvoir, de leader syndical des producteurs de coca jusqu'à devenir le premier président indigène du pays. Ces dernières années, il pouvait se targuer de nombreux succès économiques: maintien d'une croissance élevée, forte réduction de la pauvreté, niveau record de réserves de devises...
Sous son mandat, le pays a également multiplié les accords d'investissement internationaux pour l'exploitation du gaz naturel et du lithium, dont il espère devenir le quatrième producteur mondial d'ici 2021, en dépit des dangers d'un tel business. Et c'est bien ça que lui reprochent de larges franges de la population en Bolivie, d'avoir instauré un gouvernement antidémocratique et abandonné les valeurs qu'il a longtemps symbolisées, notamment la défense de l'environnement et des indigènes.
Le modèle économique bolivien, basé sur l'exploitation des matières premières, a fonctionné durant des années, mais n'est plus tenable
Réélu en 2009, il a remporté en 2014 un troisième mandat grâce à une interprétation contestée de la Constitution, qui ne permettait pourtant que deux mandats consécutifs. Au fil des ans, l'étoile s'est ternie et, avec la chute des cours des matières premières, le gouvernement a été obligé d'emprunter davantage et puiser dans les réserves.
Une page à écrire
Mi-octobre à Santa Cruz, dans l'est de la Bolivie, la région agricole du pays, les habitants ont crié leur colère contre la politique environnementale de Morales. Les gigantesques incendies qui ont ravagé en août et septembre une zone atteignant presque la taille de la Suisse ont provoqué l'indignation des peuples indigènes qui accusent Evo Morales d'avoir sacrifié la Pachamama, la Terre mère en langue quechua, pour étendre les terres cultivables et produire davantage de viande pour l'exporter vers la Chine.
Sans surprise, c'est dans cette région que les cris de joie ont retenti le plus fortement lundi à l'annonce de la démission du président. Mais aujourd'hui, les leaders de l'opposition qui ont su capitaliser sur la mauvaise humeur doivent écrire une page nouvelle. Il leur reste à mettre en oeuvre un programme qui permette de répondre véritablement à ces attentes.
Article web: Juliette Galeazzi avec afp
La gauche latino-américaine se mobilise, Madrid et Moscou réagissent
De nombreux responsables de la gauche latino-américaine ont qualifié dimanche de "coup d'Etat" les événements qui ont conduit à la démission du président bolivien Evo Morales. Les dirigeants du Venezuela, du Nicaragua, de Cuba, ainsi que le président élu argentin Alberto Fernandez et l'ancien président brésilien Lula, ont tous dénoncé un "coup d'Etat" contre Evo Morales.
En Europe, le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez a critiqué pour sa part le rôle de l'armée et de la police boliviennes dans la démission forcée dimanche soir du président Evo Morales. Quant à la Russie, elle a dénoncé les violences orchestrées selon elle par l'opposition en Bolivie pour "empêcher Morales d'achever son mandat présidentiel".